Allongé sur mon matelas trop court, mes pieds touchent la pente du toit. Les yeux ouverts, je regarde simplement ce toit, au dessus de moi. Mon coeur est tellement léger que je viens juste d’en prendre conscience. Comme une force. Mon fils respire calmement tout à côté de moi, emmitouflé dans son duvet, sur son matelas. Il s’est endormi très vite. On dirait que rien ne pourrait le réveiller. Puis la pluie se met à doucement tapoter le toit de métal. Doucement...
La journée n’a été faite que de moments simples, que je repasse un par un dans ma tête. Je revois ces instants avec les yeux d’un enfant, du moins j’essaie.
Il y a le merveilleux....
Comme tremper un baton dans les ruissellements d’eau le long du chemin.
Comme plonger ses mains, et les manches de son pull, dans l’eau froide de la fontaine derrière le refuge.
Comme être absorbé par la flamme de la bougie, la tête dans les mains, calées sur les deux coudes.
Il y a aussi ce qui semble facile ou simple à un adulte, et qui ne l’est pas pour un jeune enfant.
Comme marcher, une heure, sur un chemin de montagne.
Comme attendre que le feu prenne, puis que l’eau se décide à bouillir avant de pouvoir manger.
Comme patienter, parce que tout est plus lent ici.
Il y a enfin ce que l’on fait ensemble.
Comme prendre une photo, l’appareil calé sur une pierre, retardateur enclenché, et courir en riant pour prendre la pose.
Comme tenir la hâche à quatre mains, la lever, pas trop haut parce qu’elle est lourde, mais c’est si haut déjà, et fendre cette buche récalcitrante.
Comme prendre un repas, fait de ravioles et de diots cuits au feu de bois, sous une pluie qui s’est remise à tenter d’éteindre notre maigre feu.
Que tous ces instants, qui ont apaisé mon coeur, restent gravés en moi. Et comme une prière, que je me souvienne de cette joie intérieure lorsque les moments seront difficiles.
Henri Gougaud a écrit les mots suivants dans "Les sept plumes de l’aigle" :
« Un jour, j’ai poussé la porte où était inscrit : "Diminue la douleur de la distance", et je suis entré dans une salle du palais de la mémoire. Il y avait partout des livres vivants. Entre mille autres de ces livres vivants, j’ai choisi d’explorer la douleur de l’absence d’un être aimé. Il m’est aussitôt apparu que cette douleur était une maladie guérissable. Je me suis aventuré plus avant dans la salle. Entre mille autres voix, j’ai entendu ceci : "Plutôt que de t’enfermer dans le chagrin ou l’indifférence, cultive les sensations que l’être aimé a laissées en toi, redonne vie, dans tes dedans, à la tendresse, à la douceur. Si tu revivifies ces instants de bonheur passés, si tu les aides à pousser, à s’épanouir, à envahir ton être, la distance peu à peu se réduira, la douleur peu à peu se réduira, la douleur peu à peu s’estompera. Tu peux recréer ce que l’oubli a usé." Je me suis émerveillé de ce pouvoir et de mes capacités à explorer cette vaste bibliothèque que j’avais en moi. Alors j’ai choisi, entre mille autres choses, une journée d’amour éblouissante et douce. Elle était là, elle n’avait jamais servi à personne. Je suis entré dedans. Ses couleurs, ses senteurs, sa foisonnante plénitude se sont aussitôt réanimées. J’ai pensé : "Pourquoi ne ferais-je pas de ce jour-là, de temps en temps, ma prière du matin ?" Et soudain m’est venu : "Cette jubilation, cette gloire innocente, si celà était Dieu ?" Il y avait aussi cette question, cet emportement du coeur, entre mille autres choses, derrière la porte où était inscrit : "Diminue la douleur de la distance ! " »
Ce ne sont pas des larmes de tristesse qui coulent sur mes joues, mais des larmes d’émotion devant ce petit bonheur que tu nous offres.
Pourrais-je partager un jour avec mon fils une telle expérience ? J’ai des doutes mais je ne vais pas désespérer pour autant et espère que l’occasion de vivre un tel moment viendra un jour (même dans cette capitale) et que j’arriverai à saisir cet instant, pour le plus grand bonheur de mon fils (et aussi du père).
Chouette récit et d’émotion ! Beau partage pour vous, père et fils, et pour nous.
Je ferai la même réponse que Blue pour Black et je vous souhaite beaucoup de moments tels que celui-ci.
Quel beau récit !!! j’ai ressenti beaucoup d’émotion Je vous souhaite à tous les deux de nouvelles "expé" et surtout qu’avec le temps le petit bonhomme se souviendra avec bonheur de ces bons moments passés dans la montagne
moi j’ai les photos du père et du fils... mais moins poétiquement... le père pettait et le fils ronflait ;)
c’était bien cool en effet ...
Guillaume