Je suis arrivé sur la pointe des pieds.
Avec discrétion, comment pouvait-il en être autrement ?
D’abord, parce qu’il était tôt. Le confort douillé du lit duquel j’avais été extirpé par un réveil un peu brutal, vue l’heure, était encore frais dans ma mémoire corporelle. Je ne pouvais faire autrement que laisser filer le peu de chaleur accumulé tant le froid me cueillit avec vigueur.
Et puis la nuit était encore noire. J’apercevais à peine le sentier, la lueur fade de ma lampe frontale me permettant tout juste d’éviter de trébucher sur le premier caillou venu.
L’important dans ces moments est de ne pas se laisser gagner par l’envie de se mettre à abri. L’envie d’écouter cette petite voix, qui flatte la raison, qui canalise les pensées de votre tout puissant cerveau, et qui vous interroge sans relâche sur le sens, l’utilité et même l’intérêt de tout celà.
La première lueur vint de l’Italie tout proche. Derrières les crêtes du Mont Cenis, le rougeoiment s’amplifiait. Et la brise se leva.
Le ciel était dépourvu de tout nuage. Depuis quatre jours que la Dent Parrachée se refusait à ma curiosité, masquant son sommet derrières des brumes tenaces, j’avais enfin la chance de la contempler à loisir. Je crois qu’elle fait partie maintenant de mon panthéon des plus belles montagnes, de celles qui me fascineront toujours, qui exciteront mon imagination, et que je pourrais contempler des heures ou des jours sans jamais me lasser.
Les instants qui ont suivi ont été fugaces. La neige qui se teinte de bleu. Puis le rouge qui envahit la face.
Quelques minutes se sont écoulées, avant que la montagne ne prenne ses habits de jour.
Et puis j’ai joué. Frénétiquement, comme un chercheur de pépites, je faisais quelques pas, me mettais à plat-ventre ou grimpais sur un rocher pour chercher l’image, la lumière, celle qui susciterait une nouvelle émotion.
Je n’ai plus froid, je n’ai pas faim, je n’ai pas soif. En fait, j’éprouve une véritable joie. L’impression de faire corps avec ce qui m’entoure. Je suis invité, je ne fais que passer, très certainement. Mais sans déranger. Mieux que celà. J’appartiens à ce moment. Je le vis. Et pour ne pas l’oublier, j’essaie d’en capter la lumière, et si possible l’impression.
Le Lac Blanc. Quoi de plus banal pour un nom de lac dans les Alpes. Mais qu’il est beau ce lac. Je le découvre tout simplement. J’en fais le tour. Je m’élève au dessus de lui. Puis je reviens, et mets même un pied dans l’eau, troublant sa surface de quelques vaguelettes. L’aube glisse vers le jour, la pénombre s’estompe, mais le lac garde cette tranquillité. A bien regarder, à laisser m’envahir par l’atmosphère, non seulement la sérénité me gagne, mais je ressens la vie qui se manifeste partout.
Animale bien sûr. Quelques éterlous qui jouent près de leur mère sur un promontoire rocheux, au dessus d’un vide impressionnant, ne m’ont pas aperçu. Je les regarde quelques instants avant de poursuivre ma promenade.
Les fleurs sont devenues rares en cette fin d’été. Un millepertuis au ras du sol. Plus tard, les épilobes qui relèvent les pelouses jaunes de leur fuschia étincellant.
Et mêmes ces pierres. Vieilles de cent mille vies d’hommes, elles ont tout vu passer. Aucune n’est pareille. Aucune n’a d’autre but qu’être simplement là, comme avant, jusqu’à ce que quelque chose se produise, et les fasse changer de place ou de forme. Peut être ont-elles vu les éléphants d’Hannibal lorsqu’il traversa les Alpes ?
L’eau tombe des glaciers. Je les regarde avec nostalgie. J’aurais voulu les connaître à leur heure de gloire. J’espère leur survie.
J’ai laissé ses montagnes et suis retourné dans la plaine. J’ai ressenti un déchirement, comme si je quittais mon amoureuse.
« De l’aube à l’aurore
Je goutte ta peau
De silence en silence
Je doute des mots ... »
(Merci M, qui m’accompagna un peu ce matin là)
Qu’elle me retienne ,m’enlace , me reprenne et me rappelle à elle dès que je m’éloigne ou m’en retourne
et soigner mes blessures de l’âme et du corps
pour me refondre en elle et la parcourir de mes yeux,de mes mains ,de tout mon corps la sentir vibrer sous mes pas, la humer jusqu’au vertige, m’enivrer de son étourdissant silence..
mon amoureuse, être ton éternelle compagne...
« La contemplation n’est pas recherche ni critique, elle n’est qu’amour. Elle est l’état le plus haut et le plus désirable de notre âme : un amour sans convoitise. »
Hermann Hesse
Il semblerait (mais cela reste au conditionnel parce que je ne l’ai pas vu de mes propres ) que ce si beau extrait sur la contemplation provienne bien d’un roman de Hermann Hesse : « Le dernier été de Klingsor »
Qu’est-ce que j’ai gagné ?
Cool !
Ca me fait plaisir, j’aurai préféré une Zottegemse Grand Cru (parce que je ne la connais que de nom et que paraitrait-il, mais cela reste aussi au conditionnel, qu’elle serait exceptionnelle)...
En tout cas, ce trophée me va droit au cœur !