Dans une vie précédente, il fut surnommé ’grincheux’. Et ce sobriquet lui va comme un gant. Car l’énergie qu’il ne dépensa pas pour grimper sur cette "foutue montagne" fut entièrement consacrée à râler, et à s’invectiver lui-même en se traitant d’abruti d’avoir tout simplement oublié ses chaussures de montagne à la maison, à quelques centimètres de la porte d’entrée.
Mais les plus beaux personnages sont pétris de contrastes. Et derrière ce râleur bât vigoureusement un coeur d’or. Il pense aux autres mon gpl. Aux premières heures de ce samedi matin à Thônes, il m’attendait, avec le sourire et un pain au chocolat tout chaud.
Peu après, nous grimpâmes dans son automobile, fendant la nuit sur la musique douce de M et de ces paroles que je bois sans jamais me lasser :
Mais ce n’était pas tout à fait du goût de gpl : "c’est un peu toujours pareil" me dit-il. Apprécie-t-il la poésie ?
Il nous gara aux Confins, bien loin du parking où le départ des randos était donné, ce qui ne lui ressemble pas car il serait plutôt du genre à monter en voiture aussi loin que possible. D’ailleurs, s’il avait un 4*4, on aurait sûrement éviter trois ou quatre cents mètres de dénivelée.
Puis la litanie s’installa. "J’ai mal aux adducteurs", relayée par "Je suis une quiche d’avoir oublié mes chaussures". De temps à autres, un "Tu n’auras qu’à continuer pendant que je t’attendrai au lac" s’intercalait.
Mais là, et je n’en suis pas peu fier, je su réagir avec brio. Car, j’aurai pu lui en vouloir de laisser des commentaires vaseux sur mes articles sur ce site même, confère "Un père et son fils, la nuit dans la montagne". Bon prince, je pris la résolution ferme de l’emmener avec moi jusqu’au sommet, sans penser aux affres de la descente, prêt s’il fallait à payer de ma personne pour l’aider à revenir dans la plaine, sans se tordre une cheville ni chuter lourdement.
J’agis donc avec psychologie. Lui annonçant d’abord l’imminence du lac, qui se blottissait à coup sûr juste derrière le verrou qu’on apercevait au dessus de nous. Puis, une fois parvenus au lac, il suffirait de lui proposer de découvrir le panorama superbe sur les Aravis et la chaîne du Mont Blanc, pour peu qu’il parvienne jusqu’aux crêtes. Et que lui resterait-il alors à accomplir sinon un dernier saut de puce pour atteindre la Pointe de Tardevant ?
L’inespéré s’est produit. Ensemble, nous avons atteint le sommet.
Et je ne peux que rendre hommage à gpl qui, malgré ses douleurs et ses chaussures, non seulement persévéra, mais en plus m’offrit un véritable festin en guise de déjeuner. Allongés sur les pelouses rases des crêtes, nous mangeâmes copieusement, et bûmes une bière qu’il avait eu le courage de porter jusque là. Rien n’est meilleur !
Gpl, je ne peux que souhaiter que tu règles tes soucis de douleurs aux adducteurs. Car parcourir la montagne en ta compagnie est toujours aussi bon.