Nuit Noire en Scandinavie

05.10.2006 | Black
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Hiver, le froid glacial me gèle les poumons. Les brumes et brouillard envahissent mon espace. Malgré tout, je tente de braver les tempêtes de neige et autres ouragans qui s’affolent autour de moi. Les conditions climatiques ne peuvent que forcer le respect de chaque habitant. Le soleil a du mal à se lever, la nuit tombe vite, d’un seul coup, sans prévenir. L’été, c’est l’effet inverse. J’ai l’impression que le soleil n’a plus envie de se coucher et qu’il resterait indéfiniment sur place. Je me trouve en Suède, visite guidée de Malmö, Göteborg ou Ystad. De longues journées ou de longues nuits en perspective qui sont souvent propices non pas au tourisme mais à la réflexion.

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Et de la réflexion, Martin Beck [1], Éric Winter [2] et Kurt Wallander [3] en ont énormément besoin dans leur métier. Un métier qui est devenu au fil des années de plus en plus difficile parce que nos héros du jour sont inspecteurs ou commissaires de Police. Ils sont peut-être sortis de l’imagination de Maj Sjöwall et Per Wahlöö, de Ǻke Ewardson ou de Henning Mankell, mais pourtant ils existent bien. Ils sont présents autour de moi et j’ai l’impression de connaître un peu mieux cette terre suédoise et en particulier la Scanie natale chère à Kurt Wallander. Des paysages emprisonnées par des brumes tenaces, un froid polaire qui s’abat sur moi chaque fois que je sors du commissariat, je me réchauffe volontiers dans un pub avec eux autour d’une pinte ou d’un Lagavulin et j’essaye de m’identifier à ces héros du jour pour les aider à comprendre cette nouvelle radicalisation de la violence. Depuis le début de leur carrière, ils en ont vu des crimes ; mais ces derniers temps, la situation a changé vers une inexorable dégradation de l’âme humaine. La sauvagerie des crimes semble fatalement s’être accrue, le respect de la vie n’a plus aucune signification, n’existe plus. Les gens n’ont plus de repère, plus d’espoir. Est-ce cela qui entraîne au pire des actes : celui de supprimer des vies mêmes anonymes ?

Il existait un terrifiant...secteur d’activité dans la ville. Pas énorme, mais il existait. Pourquoi n’existerait-il pas ? La Scandinavie n’était pas une zone franche. Elle était depuis longtemps associée à la pornographie, mais dans le sens d’une libéralisation. Youpi, on se déshabille. Une sorte de naïveté qui s’était emparée aussi des législateurs. Il en avait toujours été ainsi, mais maintenant c’était pire, plus lourd. Ça influençait les gens. Les poussait à se détruire, à se dévorer eux-mêmes.  [2]

Des doutes, ces inspecteurs en ont souvent, toujours même. Parce qu’avant tout, ce sont des hommes, des êtres humains qui ont du mal à comprendre ce changement négatif de leur société, de leur métier. Une douleur reste gravé au fond de leur cœur et de leur âme, jour et nuit. Plus moyen d’y échapper, elle reste là, de façon latente, dans l’esprit de chaque flic pour le ronger de l’intérieur. Et je ressens également cette douleur omniprésente, j’ai mal pour ces policiers, je souffre avec Martin, Éric et Kurt.

Loin de l’image d’Épinal de l’inspecteur américain (ou hollywoodien) qui oscille entre super héros et super homme, ces héros du Grand Nord sont fragiles ; ils peuvent rompre à tout moment, s’effondrer devant l’effroyable. Ils ont le droit de craquer parce que chaque jour, il joue leur survie mentale. Un travail prenant, épuisant, jour après jour, nuit après nuit où le repos n’est qu’un vague mot furtif. On ne parle pas d’heures supplémentaires non comptés ; quand on a décidé de faire ce métier, le repos n’existe pas, on est flic 7 jours sur 7, 24 heures sur 24.

Là-bas, dans le brouillard, il avait compris qu’il existait certaines personnes qui ne reculaient devant aucune forme de violence ; qui n’hésitaient pas à exécuter des gens de sang-froid si cela pouvait servir leurs intérêts. Là-bas, à genoux dans la boue, il s’était battu pour sa vie. Il avait tiré une balle qui avait contre toute attente atteint sa cible. Il avait tué un homme. C’était un point de non-retour ; un enterrement et une naissance, les deux à la fois.  [3]

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Ces héros, qui comme tout héros se doit, sont mis en avant. Toute l’enquête repose sur leurs épaules ; mais pas seulement les leurs. C’est avant tout un travail d’équipe où la solidarité et l’entraide sont deux vertus essentielles pour l’avancement de l’enquête. Ils doivent être bien entourés et cohabitant l’essentiel de leur journée ensemble, des liens amicaux, fraternels voir paternels se créent. C’est aussi par ces liens plus ou moins étroits, que ces inspecteurs, quoique bourrus, deviennent attachants, parfois émouvants. Ils ont des responsabilités, ils les assument et supportent la gloire comme la défaite.

A l’heure où les enquêtes se déroulent en 24 heures Chrono, où tout semble aller très vite, où la résolution d’une affaire s’achève dans la journée, ces maîtres suédois semblent se plaire dans la douleur, dans la lenteur. La clef de l’énigme ne tombe pas comme la lumière d’un jour hivernal semble le faire, mais bien au contraire, après force et acharnements. Une enquête prend des jours, des semaines, des mois, voir même des années, avant de pouvoir subrepticement apercevoir un début de résolution...Il faut du courage et de la patience, de la persévérance aussi pour laisser cette enquête se suivre à son cours en attendant (ou en provoquant) une petite once de destin, un petit coup de pouce de la chance pour subitement avancer à grands pas vers la solution. Changements de rythmes qui usent l’homme mais qui est à l’image de la vie.

Personne ne se rappelait la physionomie de l’homme, mais les témoins avaient une image très claire de sa stature. Il était grand, de taille moyenne, ou carrément petit. « Par rapport au garçon ? » avait demandé Winter. « Non, par rapport au tramway », avait dit l’un, et Winter avait fermé les yeux comme si tout ce qui était cruel et décisif allait s’évanouir d’un coup.

L’homme avait des cheveux blonds, noirs ou châtains. Il portait un costume, une veste de cuir, une veste de tweed. Il avait des lunettes, pas de lunettes, des lunettes de soleil. Il marchait courbé, très droit, il avait les jambes arquées, de longues jambes droites. A quoi ressemblerait le monde, pensa Winter, si on voyait tous les choses de la même façon.  [2]

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A l’heure où les enquêtes se déroulent dans les laboratoires, où les flics sont remplacés par des Experts en blouse blanche, ces maîtres suédois semblent appartenir encore à la vieille école. Certes, ils ne refusent pas toutes ces nouvelles technologies qui permettent de découvrir comme par magie ou enchantement tous les secrets d’infinitésimales traces : merci spectrométrie de masse et chromatographie en phase gazeuse...Il semble évident que nier ce travail de scientifiques serait absurde, mais il n’est pas à lui tout seul la résolution d’une affaire. Il est devenu indispensable mais tout comme la nécessité de rechercher des témoins, des indices, de frapper aux portes du quartier, d’interroger longuement des suspects, de les libérer, de les réinterroger jusqu’à ce qu’une fissure se fasse dans leur esprit. La Police est en train de changer, l’informatique prend le dessus mais le travail de terrain existe toujours et sera présent encore de nombreuses années.

Très loin, presque sur l’horizon, il devina les contours d’un cargo en route vers la Baltique. Soudain, il eut un malaise, une espèce de vertige qui se prolongea quelques secondes. Il pensa avec épouvante que c’était le cœur, avant de réaliser que non, c’était autre chose : il était en train de perdre le contrôle de sa vie. Il ferma les yeux, renversa la tête en arrière et essaya de ne penser à rien. Au bout d’une minute, il rouvrit les yeux. La mer était toujours là, le cargo continuait sa route imperturbable vers l’est.  [3]

Et qu’y a-t-il au loin, hors de ces frontières suédoises ? La vie est-elle meilleure, le crime est-il aussi présent, aussi violent ? Kurt Wallander sait pertinemment que la sauvagerie n’a plus de frontière et les ramifications du crime se passent de passeport : un crime en Suède peut prendre ses origines aussi bien en Lettonie qu’en Afrique du Sud. Éric Winter trouve des liens dans son enquête avec l’Angleterre et la coopération entre les services policiers d’un pays à l’autre doit entrer en vigueur sans brusquer les intentions politiques des pays hôtes du crime.


-  Je voulais vous poser une question.

-  Je vous écoute.

-  N’y a-t-il vraiment aucune limite à la méchanceté des hommes ?

-  Je ne suis pas bien placé pour répondre à cela.

-  Qui peut répondre, si la police ne le peut pas ?  [3]

Brrrr... Brrrrr... Toujours ce froid polaire qui comprime mon thorax et ce vent glacial qui fouette sèchement mon visage... J’ai l’impression d’avoir été congelé et du coup, je rentre dans le premier pub pour me réchauffer avec une bonne pinte et sa mousse onctueuse...

[1] Maj Sjöwall, Per Wahlöö - Roseanna

[2] Ǻke Ewardson - Danse avec l’ange

[3] Henning Mankell - L’homme qui souriait

 

7 commentaires

Nuit Noire en Scandinavie 9 février 2007 Bblue 4  rép.

L’été peut être étouffant aussi en Suède, à en croire Erick Winter dans "Un cri si lointain" ou "Je voudrais que cela ne finisse jamais". Je voyage depuis quelques mois déjà en Scandinavie, assis dans mon fauteuil, sans bière suédoise ( je n’en connais pas la Carlsberg est danoise). J’ai démarré ce periple Wallander. Et j’attends la suite. Petit conseil pour ceux qui ne auraient pas encore lu Mankell, il est préférable de les lire dans l’ordre pour bien suivre les états d’âme de Wallander. L’édition française de respecte pas la chronologie et il faut faire un petit travail de recherche. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Wallander).

Après avoir découvert Maj Sjöwall et Per Wahlöö (dont j’attends la réédition de la plupart des romans), de Ǻke Ewardson, je suis reparti pour le Norvège ou j’ai suivi les traces de Varg Veum, détective privé à Bergen, après avoir travaillé à la protection de l’enfance. On y retrouve les classiques des polars, l’alcool et des déboires avec les femmes, après un divorce mal ficelé. Mais ces romans sont aussi des interrogations sur le modèle social norvégien, écrit par Gunnar Staalesen.

Et puis smiley il y a Stieg Larsson et sa trilogie Millénium, dont les 2 premiers tomes sont sortis ("les hommes qui n’aimaient pas les femmes" et "la fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette") en attendant le 3ème qui sortira cette été. Le mode d’emploi est aisé. On s’installe confortablement, avec une petite provision de boissons, un frigo pas trop vide, un téléphone coupé et aucun rendez-voous pour les 2 jours à venir. On ressort ébouriffé et heureux de la lecture de ces 2 romans de plus de 600 pages. Le pauvre Stieg Larsson a eu le malheur (et nous avec) de mourir d’une crose cardiaque après avoir donné ces 3 tomes à son éditeur. C’est du grand roman scandinave !!!!

Il est possible de faire un petit tour par l’Islande pour y découvrir les aventures de commissaire Erlendur. Personnage sombre, neige et tempête, drogue et individus plus mesquins que sordides les romans d’Arlandur Indridason ("La cité des jarres", "La femme en vert" et "La voix") glacent d’émotion et de détresse humaine.

Bon voyage  smiley smiley smiley smiley

Nuit Noire en Scandinavie 10 février 2007 Black

Bravo et merci pour ce nouveau voyage nordique smiley que tu nous proposes

Je ne connais pas encore Stieg Larsson mais l’envie m’est venue de le découvrir en te lisant... Il faudra que je regarde de plus près dorénavant afin de poursuivre ce périple scandinave...

J’ai aussi l’intention de visiter l’Islande d’Arnaldur Indridason avec « La cité des Jarres » et « La femme en vert » que j’ai en stock... Cela sera donc pour bientôt...

Egalement en stock, je compte bientôt voguer sur d’autres flots entre la Suède et l’Ecosse avec Björn Larsson et son « Cercle celtique ».

De beaux voyages en perspective et encore merci de ta participation instructive et passionnée smiley

Nuit Noire en Scandinavie 1er décembre 2008 Utopie

Je note, je note ... un petit air glacé me ferait du bien (il fait si chaud en novembre ...) et j’avais beaucoup aimé Arnaldur Indridason avec « La femme en vert » une histoire qui m’a marqué.

Nuit Noire en Scandinavie 1er décembre 2008 Black

Et dire que j’ai les trois premiers poches d’Arnaldur Indridason et que je n’ai toujours pas trouvé le temps d’en ouvrir un... lamentable !

Nuit Noire en Scandinavie 1er décembre 2008 Utopie

Ah non pas lamentable ... tu as combien d’yeux ? moi deux et des piles qui m’attendent, j’avoue que ça me décourage parfois mais non non pas de morosité aujourd’hui, la mienne me suffit ! Non non non ... Allez zou smiley

Nuit Noire en Scandinavie 9 octobre 2006 blue 1  rép.

Dis moi, j’ai envie de savoir, (mais peut être la réponse se trouve-t-elle dans ces livres), pourquoi sont-ils devenus policiers ? Par erreur, par hasard, ou bien par construction personnelle ?

D’autre part, tu dis, et je te cite : « La Police est en train de changer, l’informatique prend le dessus mais le travail de terrain existe toujours et sera présent encore de nombreuses années ». Et là j’ai peur...

L’informatique pourrait prendre le dessus, si nous étions tous fichés, selon les critères intéressants que sont par exemple : l’empreinte digitale (tiens, déjà fait...), l’empreinte génétique (encore mieux) ou l’empreinte XXX (celle qui reste à trouver)...

 smiley smiley smiley

Franchement, je ne m’intéresse pas au genre. Mais à la lecture de ton article très intéressant, je me demande si je ne rate pas quelque chose...Je vais considérer la question attentivement smiley

Nuit Noire en Scandinavie 15 octobre 2006 Black

Pourquoi est-ce que je suis devenu informaticien ? Par erreur, par hasard ou bien par construction personnelle ?

En fait, je ne sais pas trop, mis à part que je peux facilement ignorer la 3ème réponse (quoique ?!...). D’ailleurs suis-je vraiment informaticien ? Pour Kurt Wallander, je dirais un peu des 3... Cela doit dépendre en fait de ses journées, de ses enquêtes, de ses motivations ou de ses envies... Chaque jour change ; chaque jour devient un autre jour ; chaque jour, une humeur en chasse une autre... Je m’abstiendrai de répondre à la place de Martin Beck ou Eric Winter, ne les connaissant que trop peu...

Quand à la place de l’informatique, au-delà des enquêtes policières, dans notre quotidien, je croyais que nous étions déjà tous « fichés » ! Sarkozy ou Big Brother, y-a-t-il une différence ?

 smiley smiley smiley

 

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