Jonathan Littell Les Bienveillantes

03.11.2006 | Red
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Max Aue est aujourd’hui un vieil homme tout ce qu’il y a de plus respectable, ni plus ni moins que les autres, on serait tenté de dire de lui que c’est un bourgeois sans histoires du Nord de la France ; personne dans son entourage familial ou professionnel ne connaît ni même n’imagine son passé. Personne ne sait que, quelques 60 ans plus tôt, il était un haut gradé de la S.S., ni qu’il a fréquenté ceux qui sont aujourd’hui dans les livres d’Histoire au chapitre criminels nazis : Adolf Eichmann, le Reichfuhrer-SS Heinrich Himmler, le Reichminister Albert Speer, Rudolf Höss...

Sa mère était française, son père allemand, et il a passé 10 ans de son enfance dans le Sud de la France, avec sa sœur jumelle, sa mère et son beau-père, après que son père soit parti. Pendant son adolescence il a entretenu des rapports que l’on qualifiera de "contre-nature" avec sa sœur et sa mère décida de les séparer en les envoyant chacun en pension. Parfaitement bilingue, il choisit finalement de partir pour l’Allemagne à l’époque où le nazisme commençait à poindre. Après des études de droit, il intégra la S.S. un peu par hasard et ses talents de synthèse et d’analyse ainsi que sa connaissance de la France furent vite remarqués. Son 1er travail fut de rédiger un rapport sur la perception qu’avaient les français sur la politique d’expansion et d’annexion (en Autriche et en Tchécoslovaquie) du IIIème Reich.

Plus tard, après l’offensive allemande pour envahir l’Union soviétique, il intègre un Einsatzgruppe-S.S. (littérallement un groupe d’action S.S.), une de ces unités qui avançaient dans le sillage de la Wehrmacht (l’armée régulière) pour contrôler et sécuriser les lignes arrières des territoires conquis. Par « sécuriser », il faut comprendre « éliminer méthodiquement tous les ennemis du Reich », essentiellement les Juifs et les Bolchéviques, sans oublier les Tziganes et les malades mentaux. Et il assiste donc aux premiers massacres de masse, à cette époque (fin 1941) les camps d’extermination n’existaient pas encore et les choses se passaient de manière "artisanale" : on réunissait tous les Juifs d’une petite ville ou d’un village, cela pouvait représenter jusqu’à 20 000 personnes, sous pretexte de recensement ou de déportation dans un camps de travail, puis on les faisaient stationner à l’entrée d’un bois et ils étaient escortés par petit groupes de 100 à l’intérieur de ce bois par des soldats. Ensuite, on les faisait s’agenouiller au bord d’un grande fosse commune préalablement creusée et on leur tirait une balle dans la nuque. Les officiers administraient ensuite les éventuels coups de grace après que les corps aient basculés dans la fosse. Petit à petit la méthode s’améliorait : on eut par exemple l’idée de faire s’allonger les gens directement dans la fosse, sur les cadavres de la vague précedente, du coup on gagnait du temps et les soldats n’étaient plus obligés de réaligner les corps eux-mêmes, ce qui associé aux giclures de sang et de cervelle sur leur uniforme était source d’un traumatisme grandissant chez eux. Ce traumatisme est d’ailleurs une des raisons pour laquelle on a "industrialisé" la chose par la suite. L’opération était organisée à l’allemande : on calculait au plus juste le nombre de bourreaux et de balles nécessaires, la taille des fosses, et tout était fait pour huiler la machine de mort.

On assiste également à des scènes suréalistes : en Ukraine, après la fuite de l’armée Rouge, un peuple local accueille les allemands en héros. Ces gens sont appelés "les Juifs des montagnes" par les peuples voisins. Une question se pose : juifs ou pas juifs ? La Wehrmacht pense que non, la S.S. pense que oui. Pour les départager, un conseil scientifique est mis en place afin de déterminer qui a raison. Après plusieurs jours de réunions et d’arguments médicaux, anatomiques, historiques et même linguistiques, les Juifs des montagnes sont déclarés comme étant des "locaux" qui se sont "judéisés" à un moment de leur hisoire sous l’influence probable de Juifs "extérieurs". Ce qui, évidemment, est beaucoup moins grave. Ils seront donc épargnés, au moins pour cette fois.

Max n’avait rien de particulier contre les Juifs, en tant qu’officer, il a été amené à donner quelques coups de grâce mais sans haine ni émotion particulière. Il a passé la plus grande partie de la guerre loin du front, ce n’était pas un combattant mais plutot un intellectuel qui se retrouvait là sans l’avoir vraiment voulu. Pour autant, il n’a aucun regret, en tout cas il n’en exprime aucun dans tout le livre. Il a juste fait ce qu’il a fait parce que c’était son devoir et qu’il le fallait. Il prétend que n’importe qui à sa place aurait fait la même chose.

C’est un des arguments les plus troublants du livre : Max Aue et la plupart de ses collègues n’étaient pas des fous sanguinaires, à moitié débiles ou alcooliques, au contraire c’étaient des gens intelligents, raisonnés et qui réfléchissaient beaucoup. Max pouvait parler de philosophie ou de musique classique pendant des heures. Mais en même temps, il avait une foi sans faille envers le génie de son Führer et le national-socialisme, et comme la quasi-totalité des allemands de l’époque, il avait une conviction absolue sur la supériorité de sa race et la victoire finale.

Petit à petit, la Endlösung der JudenFrage (la solution finale de la question juive) se mit en place, irrémédiable, implacable, bureaucratique. Parallèlement, Max grimpe les échelons de la S.S. et gravite de plus en plus dans la haute hiérarchie du système nazie. Il finira même par rencontrer Hitler en avril 1945, dans une scène assez folklorique, en plein Berlin anéantie par les bombardements alliés et l’artillerie soviétique.

(JPG)

« Les Bienveillantes » est une biographie inventée écrite à la 1ère personne, fruit de l’imagination de l’américain Jonathan Littell (fils de Robert Littell, grand spécialiste américain du roman d’espionnage) qui écrit en français, mais il a dû exister beaucoup de Max Aue durant la Seconde Guerre mondiale. Certains passages du livre sont assez difficiles à lire, non seulement pour ce qu’ils racontent mais également par le style qui d’un partie à l’autre varie sensiblement. Et il est aussi peu évident de s’habituer aux sigles de l’armée allemande (AMT, RSHA, SD...) dont la plupart sont inexpliqués ainsi qu’aux grades absolument imprononçables en français : oberstumbannführer, gruppenführer, untersturmführer , ... dont on a du mal à savoir qui est le supérieur de l’autre. Mais si vous voulez connaître le système hitlérien de l’intérieur, et la mise en place de la solution finale, comprendre la vie en Allemagne pendant la guerre et même plus généralement l’histoire de l’Europe du XXème siècle , lisez sans hésitation ce livre dont on ne comprend le titre qu’à l’avant-dernière ligne de la 894ème page.

 

13 commentaires

Jonathan Littell 22 novembre 2010 dasola
Bonsoir, Les bienveillantes est un livre monstre mais quel talent dans la narration. Un modèle du genre. J’ai eu la chance d’obtenir une dédicace de J Littell et d’échanger quelques mots : un bon souvenir. Bonne soirée.
Jonathan Littell 29 novembre 2007 popy
Ce bouquin ets un chef-d’euvre. Au niveau historique, il top je trouve cela interressant que l’on reconnaisse enfin que les criminels nazis nétaient pas cellement des barbars sanguinaire. Merci mr Littel
Jonathan Littell 30 septembre 2007 simony gabriel 1  rép.
sur MAX AUE MAX AUE N’EST PAS UN SUJET MAIS L’EMERGENCE D’UNE STRUCTURE qu’est-à dire ? CE QUE JONATHAN LITTEL NARRE,C’EST L’HISTOIRE D’UN OFFICIER QUI TRAVERSE DE MULTIPLES PAYSAGES DONT LA PLUPART SONT HIDEUX :CET OFFICIER PARTICIPE A L’HORREUR GENERALE ET CEPENDANT CETTE HORREUR AURAIT PU SE CONSTITUER SANS LUI (AINSI UNE CHARRETTE POUSSEE PAR PLUSIEURS HOMMES N’EN CONTINUE PAS MOINS DE SE MOUVOIR,APRES LA DEFECTION DE L’UN D’ENTRE EUX) MAX AUE EST L’ASSASSIN DIRECT D’UN VIEUX JUIF ET LE TEMOIN DIRECT DE MULTIPLES CRIMES BOURREAU ET VICTIME,PRIS DANS UN ENGRENAGE DONT LE PREMIER MOTEUR NE SE LAISSE PAS DEVOILER AISEMENT .EN CE SENS ?IL EST L’EMERGENCE D’UNE SRUCTURE,D’UNE ORGANISATION COMPLEXE CET OFFICIER,PRIS DANS L’ENGRENAGE,N’EST PAS SEUL.L’ON PEUT RENCONTRER TEL OU TEL OFFICIER ISRAELIEN CRIBLANT DE BALLES UNE ECOLIERE PALESTINIENNE TENANT UN CARTABLE QUI CONTENAIT UN CAHIER D’ECOLIER L’ON PEUT RENCONTRER TEL OFFICIER BIRMAN DONT LA FORCE AVEUGLE CHERCHE A DISSOUDRE LA RESISTANCE DE BONZES BOUDHISTES jonathan littel,vous allez à la chose même pour rencontrer la machinerie hideuse

-----> la machinerie

Jonathan Littell 10 décembre 2007 cecilia

Max Aue incarne le dévouement total à l’idéologie meurtrière nazie. Le comparer au soldat israélien signifie ou ne pas connaître vraiment l’histoire ou être aveuglé par le préjugé. Le mensonge n’aide certainement pas le parcours de la paix. Si ce livre vous a trasmis ce message, alors, à mon avis, il a échoué son but.

Jonathan Littell 18 septembre 2007 Favrin Jean

j’ai lu 400 pages de ce livre que je trouve absolument étonnant , original et fort passionnant ( je suis en train de terminer sa lecture ) Etonnant parce qu’il retrace de manière précise ,documentée la vie d’un officier SS et ses motivations qui peuvent nous faire comprendre comment un homme peut perdre son humanité sans etre un fou , un barbare et en évitant les clichés ou les poncifs du genre L’écrivain n’a pas connu l’époque de son personnage en raison de son age et pourtant nous avons l’impression que son personnage a réellemant existé. original parce que tout la littérature existante porte sur le camp d’en face à de rares exceptions près. Fort parce que le livre s’affranchit de barrières morales à la recherche d’une authenticité et d’une vérité historique souvent galvaudée au niveau de ce ce sujet mais terrible et qui ne doit pas nous faire oublier que des milliers de max sommeillent dans le monde d’aujourd’hui

Jean FAVRIN ce livre est presqu’un chef d’oeuvre

Jonathan Littell 3 août 2007 simony gabriel
Les mots nomment les choses mais il arrive que ces mots s’ornent de pudeur et de discrétion dans la désignation. Ainsi le philosophe HEIDEGGER se sert de tout un JARGON pour dire et justifier la nécessité de l’extinction de races (certaines choses ne se disent pas crûment) A l’opposé,JONATHAN LITTEL,dans son roman,à travers le narrateur SS,dit la chose même (DIE SACHE SELBST),ce que sont les actes nazis sans fioriture. Il s’ensuit le CHOC et la SOUFFRANCE du lecteur,coupable d’être là en train de lire un roman,d’écrire un poème ou d’écouter WAGNER JONATHAN LITTEL interpelle la BARBARIE comme elle ne l’avait jamais été Il soutient ainsi une civilisation (si celle-ci a encore un sens simony gabriel

-----> les bienveillantes

Jonathan Littell 29 juillet 2007 PORTA Richard 1  rép.
J’ai été étonné par ce roman qui ne correspond que peu à ce que l’on m’a enseigné de la seconde guerre mondiale. Jonathan LITTELL réussi cependant à éviter de tomber dans le voyeurisme, principal obstacle de ce type de roman.J’aimerai que l’on puisse me confirmer la thèse que soutient M.LITTELL : HITLER, ayant négocié la rétrocession de MADAGASCAR à la FRANCE, n’a pu y déporter les juifs du monde entier car les Anglais qui lui ont refusé leur soutien logistique. Je trouve que cette thèse transfert la responsabilité de la SHOA des ALLEMANDS sur les ANGLAIS car cela à acculé HITLER à choisir la"solution finale" . Je trouve cette thèse très génante et j’aimerai en avoir une confimation historique. D’autre part, je trouve qu’il existe beaucoup de points commun en ce roman et le roman de Robert MERLE, "la mort est mon métier". Sans parler de plagiat, je pense que M.LITTELL s’est largement inspiré de M.MERLE. Merci par avance.
Jonathan Littell - Madagascar Plan 9 février 2008 anasemanini

Ce plan aurait seulement pu avancer si l’Angleterre était prête à négocier une paix avec l’Allemagne en 1940. Heureusement pour l’avenir de l’Europe, Churchill a décider de résister et de ne pas s’enliser dans la logique allemande comme Vichy. Une négociation avec un ennemi, surtout avec cet ennemi, en plus sur cette idée complètement abérrante était complètement exclue.

Jonathan Littell 24 février 2007 lichen
très bonne synthèse de ces 900 pages dont je n’ai encore lu que les 400 premières (mais j’ai lu tous les mots de chacune de ces 400 pages) il est vrai que la bataille de Stalingrad a été plus dure pour les nazis que pour les soviétiques qui avaient (ou pouvaient) avoir un soutien de l’arrière, mais le moins qu’on puisse dire est les nazis ne récoltent que ce qu’ils ont semés, inutile de nous apitoyer sur ces SS sans âmes, n’en déplaise à Aue qui est un parfait lâche
Jonathan Littell 8 février 2007 Richard Jeanmonod

J’ai juste un commentaire à faire sur le passage en Suisse en 1934 lors de la rencontre avec Una.

De prétendre avoir bu une bouteille de Fendant genevois dans un hôtel à Zurich à cette époque, prouve à l’évidence que jamais l’auteur n’a été en Suisse.

Pour son information, le Fendant est un vin à dénomination protégée qui ne se produit qu’en Valais.

Et le vin genevois en ce temps là était plustôt de la piquette et jamais en vente à Zurich.

Jonathan Littell 30 janvier 2007
"C’est un des arguments les plus troublants du livre : Max Aue et la plupart de ses collègues n’étaient pas des fous sanguinaires, à moitié débiles ou alcooliques, au contraire c’étaient des gens intelligents, raisonnés et qui réfléchissaient beaucoup." l’auteur ne soutien pas du tout ce que vous insinuez : à savoir que la majorité des hommes de la SS n’étaient pas sanguinaires etc. C’est un des mérites du livre : ne pas généraliser de la sorte. J.P.
Jonathan Littell 7 novembre 2006 Black

Un prix Goncourt sur ce site ! et en plus avant l’annonce des résultats !!

Impressionnant et Impressionné... smiley

Tu n’as pas choisi la facilité en te mettant une telle pression... Une prochaine chronique avec le futur prix Nobel de Littérature ? c’est la seule solution envisageable, me semble t-il... smiley

Jonathan Littell 6 novembre 2006 blue
A lire ici, un petit article très intéressant sur le marketing littéraire...
 

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