51ème étage. Le soleil se couche sur Shinjuku. Vers un lointain horizon, j’aperçois l’ombre du Fuji-san s’élevant au dessus de ce paysage urbain, et... je n’ai pas fini de nettoyer les toilettes de mon bureau (à moins que mon bureau soit les toilettes). Oupss... je me suis trompé de roman, mon esprit restait obnubilé par les WC de Stupeurs et Tremblement comme une fixation obsessionnelle sur la propreté de ces locaux sacrés propices à la méditation...
L’univers particulier d’Amélie Nothomb mérite d’être découvert plus en détail. De nombreux romans foisonnent les étalages des libraires. Cependant, lequel choisir ? Le temps s’est écoulé lentement sur ce choix sans vraiment s’y arrêter. « Métaphysique des tubes », un roman au titre surprenant... ou pourquoi pas « Biographie de la Faim » qui reprenant avec succès des images de « Stupeur et Tremblements » devrait me ravir...
Au final, le choix n’a pas été difficile à envisager puisqu’il ne m’en est pas revenu. J’ai préféré me laisser guider par le hasard, tout naturellement, un peu comme une musique qui surgit dans votre tête... la musique du hasard. Me promenant tranquillement dans les rues de ma cité du neuf-deux, l’esprit libre, l’esprit vif, quand, suspens... mes yeux, alertés par un étalage de livres d’occasion, tombent sur un exemplaire d’ « Hygiène de l’Assassin » à 2 € tout rond. Je n’hésite plus !
Ce ne fut pas sans fierté que M. Tach s’était su atteint du redoutable syndrome d’Elzenveiverplatz, appelé plus vulgairement « cancer des cartilages », que le savant éponyme avait dépisté au XIXe siècle à Cayenne chez une dizaine de bagnards incarcérés pour violences sexuelles suivies d’homicides, et qui n’avait plus jamais été repéré depuis. Il ressentit ce diagnostic comme un anoblissement inespéré : avec son physique d’obèse imberbe, qui avait tout de l’eunuque sauf la voix, il redoutait de mourir d’une stupide maladie cardio-vasculaire. En rédigeant son épitaphe, il n’oublia pas de mentionner le nom sublime du médecin teuton grâce auquel il trépasserait en beauté.
Plus qu’un roman, c’est une joute verbale entre un immense Écrivain de renom Pretextat Tach, « Prix Nobel de Littérature » et des journalistes ambitieux. Des dialogues acerbes, des piques orales qui semblent fondés sur la mauvaise foi, un art dont excelle et se régale l’orgueilleux Pretextat Tach. Autour d’un huis clos pesant, angoissant dans la pénombre et face à ce qui ressemble être un monstre chargé de rancœur et suintant de tous ses pores ses excès de sueur, les journalistes s’effondrent un à un devant la fierté, la prestance et la misogynie de ce qui semble être un « odieux » et obèse personnage.
Un combat saignant avec mise à mort entre le romancier et son interviewer. L’usage d’un dictionnaire de synonyme est très utile pour qualifier et décrire cet être mi-homme, mi-monstre : ignoble, abject, vil, infâme, méprisable, ignominieux... Au fil des entretiens, le journaliste (et le lecteur également) reste plongé dans le doute : l’apparence de Pretextat Tach est-elle feinte ? Peut-être que sous cette masse impressionnante de graisse adipeuse, pourra t-on trouver, un jour, un cœur qui bat et qui réchauffe l’âme d’un homme simple ? Ou peut-être pas...
Qui gagnera le duel, entre l’écrivain et le journaliste ?
Qui aura le cran de relever le défi d’interviewer un tel monstre imbu de sa personne ?
Bon ou méchant, bien ou mal, qui saura percer son mystère, et raconter son histoire ?
D’autres chroniques sur les romans d’Amélie Nothomb :
Cosmétique De L’Ennemi
Hygiène De L’Assassin
Stupeur Et Tremblements
-----> Meurtres à la banque