Pouvez-vous y prendre du plaisir si vous ignorez totalement où se situent Highbury, Anfield, Stamford Bridge ou si la notion de supporter vous dépasse totalement et que vous considérez chaque supporter comme un crétin au Q.I. à peine supérieur à celui d’une blonde ? Etes-vous capable de lire des paragraphes, des chapitres entiers, un roman complet qui traitent uniquement d’un ballon rond, d’un club de football et de ses quelques fidèles supporters ?
Je découvre donc pour la première fois Nick Hornby, rendu célèbre par son roman « Haute Fidélité » encensé par la critique et par le public, à travers une autobiographie pour le moins originale : la vie de Nick autour du club d’Arsenal.
Quand j’y réfléchis à présent, la conduite de ma mère me laisse perplexe. Elle répugnait à me voir dépenser mon argent pour les disques de Led Zeppelin (c’était compréhensible), ou pour des places de cinéma, elle ne m’encourageait même pas à acheter des livres, mais elle ne trouvait rien à redire lorsque, presque chaque semaine, je filais à Londres, à Derby ou à Southampton, me mêlant aux bandes de dingues sur lesquelles je tombais.
Quelle mère indigne, quand même... Privé son fils adoré et chéri de Led Zeppelin... Pourquoi pas lui interdire également d’écouter des disques de Pink Floyd ? Quelle mère aurait de telles intentions ?... De telles privations auraient pu entraîner Nick vers un profond abîme hanté par une pop anglaise digne de T.Rex.
Nick a huit ans quand son père, fraîchement divorcé de sa mère bouscule, les habitudes d’éphémères relations père-fils en l’amenant à Highbury au lieu de l’habituelle et fastidieuse promenade au zoo. A partir de cet instant, sa vie va basculer dans un monde irrationnel, dans un univers impitoyable où seule l’équipe d’Arsenal comptera. Arsenal, jour et nuit, du matin au soir, sera présent dans son quotidien, omniprésent dans ses pensées et dans ses actes. Arsenal, sa deuxième famille...non sa seule, sa vraie famille, la seule qui va le comprendre, le soutenir tout au long de sa vie. Enfant, adolescent, et même adulte, Nick ne vivra que pour Arsenal, qu’en fonction des matches d’Arsenal. Du coup, peut-on dire qu’il s’agit encore d’une passion ? Cela ressemble plutôt à une véritable obsession isolant Nick de son entourage. Parce qu’avant d’être un livre sur le foot, « Carton Jaune » est surtout un livre sur les obsessions. Quand ces dernières prennent le pouvoir sur votre vie, que reste-t-il ? Y’a-t-il un moyen de s’évader de ses propres obsessions ? Nick, l’âge aidant, a bien tenté de se désintoxiquer d’Arsenal, un peu comme la dépendance à la nicotine, mais sans réel succès. D’ailleurs, est-ce vraiment un échec pour lui ? Pas sûr... Arsenal lui a apporté certes, beaucoup de crampes d’estomac les heures d’avant match, de tracas, de désillusions mais aussi énormément de bonheur, et d’une intensité insoupçonnable, qu’il se plait à comparer à une jouissance sexuelle puissance 10.
Des récits épiques, mais aussi surtout de nombreux matchs soporifiques jalonnent la vie de Nick. Ce dernier mérite donc le précieux titre de fidèle et vrai supporter de football pour soutenir, qu’il pleuve ou qu’il vente, une équipe qui pratique depuis des années l’un des plus mauvais jeux de l’Angleterre, l’un des plus agressifs, et avec un palmarès sans gloire.
Quand à savoir s’il faut aimer le foot ou être supporter pour apprécier la prose parfois humoristique, parfois émouvante mais souvent décalée, je ne suis pas si sûr. Bien sur, cela peut aider à feuilleter avec plus de passions les récits de certains matchs, mais Arsenal avant l’ère Wenger m’est totalement inconnue et personnellement la plupart des joueurs cités dans ce roman ne me sont pas familiers, à l’exception du très talentueux « Magic » Waddle. On lit du Nick Hornby pour se détendre, pour s’amuser de son regard décalé sur le monde et de son autodérision. C’est du foot, mais cela pourrait être n’importe quelle autre passion qui prise à l’extrême devient obsédante...
Il doit y avoir nombre de pères dans ce pays qui ont connu le pire, le plus traumatisant des rejets : celui de voir leur enfant se rallier aux supporters d’un autre club, se tromper d’équipe en quelque sorte. Quand j’envisage d’avoir une descendance, pensée que j’ai de plus en plus souvent lorsque, vers minuit, le tic-tac de mon horloge biologique se rappelle à moi avec emphase, surgit aussitôt la crainte d’une pareille trahison. Comment réagirais-je si mon fils ou ma fille décidait, à l’âge de sept ou huit ans, que Papa est fou et que son cœur bat pour West Ham, Tottenham ou Manchester United ? Le supporterais-je ? Admettrais-je, en père raisonnable, de renoncer au stade de Highbury pour acheter un abonnement à White Hart Lane ou à Upton Park ? Pas question ! Moi aussi je me conduis en enfant quand il s’agit d’Arsenal, alors pourquoi céderais-je aux caprices d’un gosse ? Je lui expliquerais, à lui ou à elle, que je respecte évidemment son choix mais que s’il tient à voir jouer son club, il n’a qu’à y aller, à payer sa place, à se débrouiller seul. Voilà qui le moucherait, le petit con.
Cruel dilemme... Aurais-je la force de me comporter ainsi...
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