Ihara Saikaku La lune de ce monde flottant

30.06.2007 | Black
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Le mensonge du monde entier a formé une masse compacte et a donné naissance au monde du plaisir. Nul ne saurait passer une journée dans une maison de réception en disant la vérité. C’est le métier des courtisanes que de dire ce qui n’est pas. Cependant le client, qui se saigne à blanc, ne cesse de se torturer l’esprit pour sauver les apparences. Les bouffons jouent aux niais. La surveillante s’entraîne à prendre un air terrible. Les apprenties font semblant de dormir. La patronne se force à rire. L’intendante répond à côté. La vieille grand-mère toute croulante surveille discrètement les flacons de saké. Quant au patron, il n’a en tête que la situation financière du client. Il est amusant d’observer la variété des métiers de ce monde. [1]

Te reste-t-il encore
Toi qui a contemplé jusqu’au bout la lune
Un bout d’œuvre à écrire ?

(JPG)

Japon médiéval, ère Genroku (1688-1704). An VI, Ihara Saikaku décède d’une longue maladie. La même année, son disciple et exécuteur testamentaire, Hôjô Dansuï, compile ce subtil recueil de nouvelles : La lune de ce monde flottant. Une œuvre posthume, en somme... Mais cette œuvre aurait-elle été telle qu’elle nous apparaît maintenant si Saikaku n’avait pas été terrassé par la maladie et la mort. Il apparaît évident que Dansui s’est permis quelques droits sur le choix des textes et sur les préfaces présentées sur l’original. Cependant, par ces quelques dernières nouvelles et de l’avis de nombreux critiques, le romancier semble avoir atteint le sommet de son art, en s’intéressant littérairement aux « marges », aux « bannis » de sa société contemporaine acculés dans ses derniers retranchements.

« La fortune ne dure qu’une génération, la débauche ne se maintient guère au-delà de deux générations », disent dans un fameux adage les habitants si avisés de Kyôto.

Le motif central de ces récits : les courtisanes. Sentant le regard pervers et lubrique de certains lecteurs, je stoppe net leur imagination fertile et libidineuse. « Passez votre chemin s’il n’y a que le sexe dans la vie qui vous intéresse », leur dis-je ! Aucun récit érotique, aucun sujet immoral, ces nouvelles sont à milles lieues des Moines et nonnes dans l’océan des péchés.

Certes, Saikaku nous navigue dans les lieux de plaisir, nous transporte dans les maisons de divertissement, à prendre le thé ou le saké. Mais le plaisir s’arrête là parce que l’auteur s’intéresse plus à la misère qui entoure ces lieux de débauche, au mensonge qui y est instauré, à la hiérarchisation sociale des courtisanes répertoriées en castes bien distinctes, à la destinée finale de ces amateurs de plaisir.

Le monde n’allait décidément pas comme on le voulait, à quoi bon continuer à vivre ? De quel karma avait-il hérité pour persister ainsi dans la Voie du plaisir malgré l’état de sa fortune ? Il prit de bonnes résolutions. Il jura un soir de ne plus jamais retourner au quartier de plaisir, mais le lendemain, il se sentit comme entraîné malgré lui et se remit à fréquenter les courtisanes sans même se dissimuler aux regards des gens.

Des marchands et fils de marchands dépensent leur fortune pour entretenir une (des) courtisane(s). Tant, qu’au bout d’un moment, leur fortune se retrouve totalement dilapidée. Et que reste-t-il donc à ces marchands, au bord de la misère ? Ils se retrouvent poussés à l’écart, mis en marge de la société, rejetés de tous devant cet incompréhensible pauvreté. Seul et irrémédiablement perdu et honteux...Saikaku se place du coté du misérable marchand, perdu dans ce monde de luxure, il dissèque les relations entre lui et les courtisanes, entre lui et les autres. Le « paraître » a toute son importance dans cette époque où montrer son luxe et sa générosité est gage de pouvoir et de raffinement. Et plus on s’enfonce dans ce monde, plus les apparences deviennent difficiles à dépasser, et plus la misère vous guette, et plus la solitude vous fait perdre totalement espoir. Et si plus d’espoir...

Tout y est spirituel et raffiné. Y a-t-il aujourd’hui au monde quelque chose de plus intéressant que de s’amuser dans les quartiers de courtisanes ?

(JPG)

Kyôto, Ôsaka, Edo, Nara... Une ballade à travers le Japon d’un autre temps. Les odeurs d’un thé vert frémissant et mousseux agrémentent avec délice ce voyage. Un lointain shamisen balance sa douce mélodie à travers les cloisons de papiers amovibles. La voix suave d’une courtisane chantonne un refrain populaire pendant que je déguste mon fameux et fumant okonomiyaki avec mes baguettes en nacre. Les cordes du koto bercent doucement mon esprit pendant que mon âme se plonge dans les effluves enivrants d’un saké chaud. Le crâne à demi rasé, une fière allure dans mon kamishimo, je me prendrai presque pour un samouraï de haut rang. Ivresse du saké, ivresse du parfum des fleurs de cerisiers qui enchantent mon regard, à l’instar des parades de ces courtisanes aux kimonos toujours plus colorés s’éventant sous les glycines. Quel plaisir, quel bonheur de fréquenter ces lieux, de naviguer entre les maisons de thé, de croiser quelques acteurs de Bunraku ou de Kabuki, de rechercher l’amour de quelques courtisanes ! Je me sens bien dans ce Japon...

La lune de ce monde flottant
Je l’aurais contemplée en sus
Pendant deux ans !

[1] Préface de Saikaku.

 
 

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