Einar Már Gudmundsson Les Anges de l’Univers

06.12.2007 | Black
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Les lieux ont un nom franchement imprononçable : Eyjafjördur, Skeggjagata ou Saudárkrókur. Les habitants se prénomment Páll, Ólafur, Skúli ou Thór, avec une flopée d’accents sur toutes les voyelles. En fermant les yeux, je serais capable de m’imaginer sur la planète Kobaïa et de feuilleter la dernière saga romancée en kobaïen. Le voyage ne fut pas aussi long, à seulement quelques longueurs de mon cocon, pourtant je me retrouve en plein « magma ». Une île volcanique, en constante éruption, une odeur de souffre mélangée aux embruns de l’océan, je fais mes premiers pas en terre islandaise : bienvenue à Reykjavik, la « baie des fumées »...

Einar Már Gudmundsson (encore des accents et toujours imprononçable) me décrit avec poésie son pays natal, un lieu magique plongé dans le noir, entre les tourbes islandaises et les grèves déchiquetées. Le froid est saisissant mais la beauté des paysages et les fumeroles s’élevant des sources chaudes adoucissent cette première sensation glaciale. Je reste émerveillé devant ces aurores boréales et mon esprit est enchanté (envoûté même ?) face à une nature aussi resplendissante, aussi poétique. Je sens le souffle des baleines au large répondre aux cris des orques, des cachalots et des rorquals. Des icebergs flottent au milieu des lacs glacés, l’odeur souffré des geysers se mélangeant à celle des embruns marins de l’Atlantique.

As-tu abordé, beau cygne, au rivage désert où dansent les anges... ?
De vieux navires viennent à ta rencontre en rêve et la brume se pose près de toi sur le sable.

On voit pourtant les lumières du château luire d’un éclat gris-jaune, avec l’accompagnement de la mer...

Les arbres qui entourent l’hôpital psychiatrique ont grandi, mais la plage, qui se revêt de nudité se blottit au sein des grains de sable et des cailloux.
Le bruit du ressac s’enfle dans les oreilles et les vagues accourent vers la terre ; souvenirs qui se sont attardés dans les ténèbres.

Páll est né en pleines émeutes urbaines, le jour où l’Islande rentre dans l’OTAN. De cet anodin fait, Páll croit en une étrange coïncidence qui tout au long de sa vie troublera la perception de son avenir. Et la destinée de Páll sera pour le moins mouvementée. Entre ces magnifiques landes islandaises, un établissement s’érige au bord des falaises. Une vie autour de ce bâtiment intrigue depuis toujours les sentiments du petit garçon : l’hôpital psychiatrique de Kleppur. Et c’est justement à partir de son internement que Páll, entre hallucinations et moments de lucidité, fera sa « biographie ».

Voilà la situation :
Óli est en communication télépathique avec les Beatles ; Pétur attend de la Chine son titre de docteur, et moi, je suis en relation avec divers grands maîtres du passé notamment Vincent Van Gogh et Paul Gauguin, tandis que Viktor, qui ne pense pas grand-chose des Beatles, disserte avec éloquence de la tragédie grecque et des sonnets de Shakespeare. Il est en outre le pharmacologue de notre groupe et sait tout d’Adolf Hitler, qu’il lui arrive d’incarner quelque fois.

Einar Már Gudmundsson me plonge vers une descente hallucinatoire d’un adolescent dans la schizophrénie. Pall, jeune islandais anonyme, s’enfonce dans des ténèbres de plus en plus sombres : cruels instants d’une vie, d’une famille. Obscur destin de cette jeunesse islandaise perdue dans ce monde abstrait. Les longs hivers nocturnes agissent peut-être sur la mentalité et la volonté de ces jeunes en leur créant un univers sombre, comme s’ils devaient vivre éternellement dans le sous-sol d’une cave...

Mais la psychiatrie dans ce pays et à cette époque, cela me fout les j’tons ! Déprimant, Insupportable, Indécent vois Choquant... Ces pauvres âmes perdues, ces « anges de l’univers » ne valent pas mieux que du vulgaire bétail, et certainement même moins... L’hôpital de Kleppur n’est pas un lieu de soins mais un lieu de stockage où le gouvernement place les personnes qu’il ne souhaite pas voir dans sa société. Je suis en Islande, mais je pense qu’ailleurs la situation aurait été la même. J’ai le vague souvenir d’un Albert Londres « chez les fous » où nos asiles français n’ont rien, non plus, à envier à Kleppur...

Du temps d’avant les médicaments, certains services n’étaient que de grandes salles où les malades circulaient tout nus. On n’avait pas le droit d’accrocher des tableaux aux murs, ni d’avoir des fleurs sur les appuis des fenêtres, car on pensait que les malades mangeraient les fleurs et se tabasseraient avec les tableaux.
On voyait les internés nus aux fenêtres. Ils se tenaient aux barreaux et tiraient la langue. Derrière eux, il y avait des murs nus et des sols brunâtres, à peu près de la couleur des excréments qu’ils excrétaient.
Ces gens-là ne sortaient jamais à l’air libre, non plus qu’ils ne se lavaient, se peignaient ou se brossaient les dents. Les savonnettes étaient rares et les brosses à dents n’existaient pas. Lorsqu’on prêta attention à ces conditions déplorables et au fait que ce type d’enfermement et d’isolement était injustifiable, on rappela, entre autres, qu’il existait des règlements obligeant les fermiers à faire prendre l’air à leurs bêtes.
Les malades avaient-ils moins de droits que le bétail ? Valait-il mieux pour eux qu’on n’en entende plus jamais parler ?

Sans le savoir, j’avais déjà rencontré ces « anges » islandais. J’ignorais tout de l’auteur et de sa biographie et donc c’est par une autre porte ouverte que j’ai pu croisé le tragique destin de Páll. Son roman a fait l’objet d’une adaptation cinématographique. Certes... Je suis capable d’aller dans une salle obscure pour suivre avec enthousiasme des drames danois, mais à ma connaissance, le cinéma islandais a du mal à s’exporter jusqu’à l’intérieur de nos frontières. Par contre, la musique si (et oui, il n’y a pas que Björk...) ! La B.O. de ce film Angels Of The Universe a en fait été composée par Hilmar Örn Hilmarsson et... Sigur Rós ! (Et avec toujours ces « foutus » accents).

Brynjólfur prétend que la schizophrénie a ses racines au tréfonds de l’âme collective ; que toutes ces croyances aux elfes et aux génies, aux fantômes et aux trolls ne sont que de la schizophrénie pure et simple.

Est-ce que j’ai réussi à vous intéresser à cette poésie schizophrénique ? Si oui, voici les deux premières pages, qui valent plus que mon petit hiatus sur le sujet !

Mais sans cette formidable couverture, peut-être serais-je passé à côté de ce texte, réquisitoire pour le droit à une psychiatrie honorable et humaine, pour une compréhension et une indulgence envers la différence de l’autre. « Obsession » : une peinture de John Bellany a attiré d’emblée mon œil furtif au milieu d’un étalage foisonnant de romans divers et variés. (JPG) Ces trois êtres (de vrais gueules de psychédéliques schizophrènes) en proie à leurs démons intérieurs, le ciel bleu et l’océan obscur se fondant à l’infini : je me sens déjà sur cette terre islandaise, au pied de la porte de cet hôpital psychiatrique de Kleppur. La meilleure entrée en matière, le sésame qui ouvre la porte de mon imagination à la découverte de cette île volcanique, encore sauvage.

Mais, où sont mes « Anges de l’Univers » ?

 

2 commentaires

Ah Christian Vander ! 7 décembre 2007 BMR 1  rép.
 

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