Au réveil, ma première pensée a été pour le chien et je suis sorti du lit d’un pas chancelant. J’ai éclaboussé d’eau mon visage et regardé vers le sud par la fenêtre. La journée s’annonçait splendide. L’orage avait lavé puis astiqué le monde. La mer était une immense tarte aux mûres et le ciel brillait comme le manteau de la madone. L’air sentait les pins et le sel, et je distinguais les îles de Santa Barbara distantes de quarante miles, à cheval sur l’horizon comme une bande de baleines bleues. C’était le genre de journée qui torturait un écrivain, si belle qu’il savait d’avance qu’elle lui volerait toute son ambition, étoufferait la moindre idée née de son cerveau.
Lui, c’est Henry J. Milouse. Il pourrait incarner le rêve californien : une grande maison en forme de Y à quelques pas de la plage, une femme Harriet qui le supporte depuis tant d’années et quatre magnifiques enfants vivant sous son toit : Tina, Dominic, Denny et Jamie.
All the leaves are brown Il est écrivain, célèbre et reconnu, conduisant une Porsche... dont les traites ne sont pas encore toutes payées. And the sky is gray Il se surnomme Henry Dégonflé Milouse ou Milouse la loose. I’ve been for a walk Après des débuts prometteurs, cela fait des années qu’aucun roman de qualité n’est sorti de sa plume ; On a winter’s day il ne vit (ne paie ses factures, devrais-je dire) que grâce à quelques scénarios hollywoodiens tous de plus en plus minables et désespérants... I’d be safe and warm Ses quatre rejetons lui sont d’une incroyable ingratitude envers leur géniteur et pour couronner le tout, If I was in L.A. il recueille dans son jardin un chien « stupide », une énorme et monstrueuse boule de poils et de tiques de 70 kg. California Dreamin’ On such a winter’s day.
« Ça, c’est un akita, a déclaré Colt en examinant le chien vautré sur le divan. Un chien japonais. J’en ai vu à Tokyo. Faut pas plaisanter avec ce genre de clébard.
Pas étonnant qu’il refuse d’obéir, a dit Tina. Il ne comprend peut-être pas l’anglais.
Je pourrais téléphoner à Mme Hagoromo qui habite Wadsworth, a proposé Harriet. C’est une femme adorable, je suis certaine qu’elle serait ravie de parler au chien.
Le rêve américain est bien loin, et Henry ne cesse de penser à ces lointains ancêtres du coté de l’Italie. Il n’en peut plus de cette vie de minable et de miséreux dans un quartier de poussière, à l’ouest de Rome [1], dont il se perd dès qu’il essaye de retrouver son chemin. Tout le monde lui en veut, femme et enfants. On assiste à la désintégration complète de la cellule familiale américaine. Seul ce chien « Stupide » semble à son image, compréhensif, patient et surtout endormi... Sauf que ce chien s’avère un parfait obsédé sexuel et irrémédiablement « pédé ».
All the leaves are brown
And the sky is gray
La plume de Fante (à moins que cela soit celle de Milouse ou de Bandini ?) m’emmène avec bonheur et désespoir dans une Amérique poussiéreuse, miséreuse, en pleine déroute. Je perçois en une phrase sa profonde tristesse puis subitement la suivante me plonge dans une hilarité totale. Et pas facile de retenir un fou-rire inévitable lors du combat entre ce chien Stupide et la terreur du quartier Rommel le Teuton. Mon esprit est partagé : j’oscille entre une profonde compassion pour ce Milouse et un état totalement désopilant devant les facéties de son chien... Pas facile de garder mon sérieux dans le métro quitte à être pris pour un fou lisant une histoire de chien stupide et homosexuel, un monstre pervers à l’esprit dépravé...
Alors Stupide a révélé son but incroyable : il a dégainé son glaive orange en bondissant sur le dos de Rommel ; tel un ours, il a immobilisé Rommel de ses quatre pattes puissantes, puis entrepris de mettre son glaive au chaud. Quelle finesse ! Quelle astuce ! J’étais enchanté. Quel dieu, ce chien !
D’autres chroniques sur John Fante :
Demande A La Poussière
Mon Chien Stupide
D’autres chroniques sur Dan Fante :
Les Anges n’ont rien dans Les Poches
D’autres chroniques sur Dan & John Fante réunis :
Fante, un père et un fils
D’autres chroniques sur Charles Bukowski :
Contes de la Folie Ordinaire
Women
[1] Titre original du roman : West of Rome
On se croise souvent des les mauvais quartiers de L.A. Avec Dan et ses potes SDF, on fait quelques virées au fond des pubs jusqu’à la lueur du petit matin avant de gerber sur le trottoir les litres de Bud en trop dans notre estomac
Un peu de sérieux... Je n’ai pas encore lu du Dan Fante, mais j’avais déjà entendu du bien de ses écrits. Pas évident pour un fils de faire aussi mieux que son père quand ce dernier est si talentueux, mais apparemment ses débuts furent prometteurs
-----> lost in anywhere
American way of Life : l’ancienne couverture est bien plus réussie. En tout cas, la photo ! parce que je trouve qu’elle n’illustre pas à mon sens ce roman...
Par contre, la nouvelle couverture ne m’emballe guère, non plus. Pas crédible. Ce chien chaussé d’une paire de lunettes donne à mon sens une version du roman qui peut paraître léger, presque futile... Alors qu’en fat en dépassant le coté humoristique, tordant et hilarant du chien, ce roman se veut avant tout acerbe envers la vie et la société américaine... Comme ça c’est dit aussi
Voilà, ça y’est. On a relu deux Fante et un Bukoswki. Les billets sont sur le blog. Les deux n’ont pas bougé d’un iota depuis 20 ans et c’est toujours aussi bon.
et Women de Bukoswki.
Je perçois en une phrase sa profonde tristesse puis subitement la suivante me plonge dans une hilarité totale.
Voilà ta phrase là au-dessus... elle résume ce que je vis en lisant Fante. J’aime cet humour qui ne sauve pas de la tristesse mais qui ne cache pas la misère mais qui fait chatoyer le sourire. Merci !
C’est ce que j’aime aussi dans Fante et Bukowski. Ces deux Grands écrivains arrivent à me faire sourire (voir plus) en écrivant simplement la vie, leurs vies... Et quand on sait que leurs vies ne sont pas d’une extrême gaieté, parce que la Vie est malheureusement faite, pour beaucoup, de difficultés et de misère...
D’un autre coté, un écrivain qui n’écrirait que des joies et du bonheur utopique... est-ce que cela m’intéresserait ? pas si sûr...