Il n’y aura pas de nouvelle usine. Qui voudrait une foutue usine ici ?
J’ai entendu dire que les papiers Scott étudiaient le site. » Tommy m’avait téléphoné pour me dire qu’il l’avait lu dans le journal. De grosses compagnies étaient intéressées, je le savais. Il y avait une réserve d’ouvriers qualifiés, un bâtiment déjà équipé pour produire des pièces de tracteurs. Quelques transformations, et ça tournerait en produisant autre chose. Nous savions tous ça.
Gardocki rigole de nouveau. « Les papiers Scott. » Il secoue la tête. « C’était une usine de construction mécanique. Tu penses qu’ils vont la transformer en moulin à papier ? Et remettre ça avec les conneries de syndicats ? Plus personne ne veut avoir affaire aux syndicats. On veut des Mexicains. On veut des gens qui seront contents avec sept dollars de l’heure et qui ne rouspèteront pas pour en toucher dix-sept. L’usine, ici, c’est fini, Jake. » Il se laisse aller contre son dossier et allume une cigarette. « Qu’est-ce qui est arrivé à cette jolie fille avec qui tu sortais ?
Je t’emmerde.
Lacs gelés et forêts sombres et enneigées accentuent ce sentiment de solitude que traîne notre héros du jour : Jake. Loin des grandes métropoles urbaines, nous rentrons au cœur de l’Amérique, dans une petite bourgade du Wisconsin. L’une des dernières (à moins que cela soit la seule) usine de ce bled vient de fermer, provoquant ainsi une nouvelle vague de licenciements. De ce fait, Jake perd, en plus de son boulot, son abonnement au câble, sa télé même, puis sa femme et sa respectabilité... Il se sent perdu, décalé dans cette nouvelle Amérique où ses compétences et ses souhaits ne sont plus pris en compte. La morosité gagne la ville, la région qui ne vit plus que dans la mélancolie et la nostalgie des jours d’antan, des jours fastes et meilleurs à l’époque de la grande Industrie.
L’Amérique profonde, celle des laissés-pour-compte, celle des désespérés... Que la littérature peut être belle et émouvante lorsqu’elle traite de cette Amérique-là, triste, humaine qui ose traité de ses démons intérieurs. L’ « American Way of Life » me parait tout de suite moins idyllique racontée par un Iain Levison délaissant très tôt le raffinement de son whisky natal d’Aberdeen pour le grand cru local qu’est la Budweiser. Désespérés et oubliés, ces ex-ouvriers américains ont perdu totalement espoir en leur pouvoir dirigeant, mais aussi et malheureusement en leur propre capacité. Alors, lorsque Jake se voit proposer un petit boulot par son « mafieux » bookmaker local, il croit en cette dernière chance, celle qui lui prouvera qu’il possède encore quelques qualités, quelques aptitudes pour gérer un poste à responsabilité. Simplement une histoire de confiance et de respectabilité...
« Fais ce qu’il faut pour survivre, Jake. Les temps sont durs. » Qui dira le contraire ? Les flics ? Le pasteur ? je ne suis pas allé à l’église depuis les licenciements. De toute façon, les flics et les pasteurs ont du boulot.
Sous l’écriture de ce nouvel écrivain, je croise des paumés, des américains moyens, des exclus du travail et donc de la société. Ce sont à priori des gens bons, humains mais qui ont tout perdu parce que les grandes entreprises préfèrent délocaliser leurs usines pour gagner encore plus de fric. Et sans travail, nous ne sommes plus grand-chose, que des hommes en voie de délabrements qui n’ont plus d’activités, à part traîner dans des pubs de plus en plus miteux. On se sent exclus et bons à rien, genre traîne-savates sans motivation. Les relations avec les autres, avec les proches s’en ressentent, deviennent de plus en plus difficiles, jusqu’à se retrouver enfermer dans un carcan, solitaires et abandonnés.
Morosité, tristesse, désespoir... Cela ne semble pas une lecture très propice à l’optimisme et à la joie de vivre. Et pourtant, la plume de Levison est ravageuse, mortellement humoristique, voir désopilante. A la fois extrêmement drôle et pathétique, je ne peux que sourire, voir même jubiler face à la facilité qu’à Jake à se fondre dans son nouveau job. Avis aux recruteurs, ce type est capable de tout, dans n’importe quelle situation. Improvisation et réflexion font de lui le meilleur pour un poste à responsabilité de haute envergure.
Tu pourrais m’avoir un silencieux ? J’aime pas le bruit du coup de feu. C’est dangereux, et ça me fait mal aux oreilles.
Il grimace. « C’était bruyant à l’usine. Comment tu faisais ?
Je portais des boules Quies.
Porte des boules Quies, alors.
Le bruit est quand même là. Des gens peuvent l’entendre. Je voudrais vraiment un silencieux. » En plus, c’est chic, un silencieux. Tous les tueurs à gages en ont. Quel homme de main se trimballe avec un flingue merdique qui fait un bruit d’enfer ?
« Je le leur demanderai. Ils te donneront une arme. Mais s’ils en ont pas, tu peux en trouver un ?
Je ne sais pas où trouver un silencieux. On en vend au supermarché ? »
Ken hausse les épaules. « Tu as demandé ? Ils vendent des fusils de chasse. » Nous nous regardons, et nous éclatons de rire.
Être tueur à gages, c’est comme tout, on a ses moments de rigolade.
En plus d’un auteur, je viens de découvrir une maison d’édition, encore indépendante malgré ses 25 années d’existence, Liana Levi au catalogue fort alléchant, ce qui devrait changer un peu de mes lectures essentiellement « Babel » ou « 10/18 ».