Sepúlveda, place de Clichy

27.07.2008 | Black
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Je tourne au coin de la rue, une odeur de graillon me prend à la gorge. J’étouffe, mon corps s’imprègne de cette odeur de graisses de frites du Quick. Vite, il faut que je m’échappe, je rentre dans la première boutique.

Je n’entends plus les klaxons incessants des automobilistes inciviques et abrutis. Mon oeil se porte sur la première table, quelques livres, grand format. Je m’enfonce, autour des autres tables. Je vois des poches, des polars, de la littérature irlandaise, polonaise, japonaise...

Des livres de partout, des romans à profusion, de l’histoire avec un grand H, de la philosophie de bas et de grand étage... Que des livres : les murs en sont remplis. Je lève les yeux, et je vois encore des livres. Je peur de m’enfoncer, je risque de me perdre dans ce dédale de romans. Subitement je me sens comme un Héros de Paul Auster. Je finirais bien ma vie ici, dans cette boutique, jour après jour. Je ne suis pas à Brooklyn mais simplement dans la capitale parisienne. Je furète, je feuillette... Je suis comme un petit enfant (mon fils) devant un marchand de bonbons. Je ne saurais lequel choisir. J’ai envie de tous les lire, de tous les prendre. Devant ce dilemme, je préfère prendre la fuite. Je cours vers la sortie, la porte s’ouvre et toujours cette même odeur de frites qui me soulève le coeur. Je me retourne et découvre l’enseigne : Librairie de Paris, Place de Clichy.

(JPG)

Fuir, toujours fuir... Pourquoi ? Un problème ne devrait pas connaître une telle alternative. Il faut que j’y retourne, que je rentre à nouveau devant cet étalage de tentations. Après tout, c’est nettement plus convivial que sur Amazon ou PriceMinister... Je pousse donc de nouveau la porte et fonce directement au rayon Amérique du Sud. J’ai envie de partir loin de Clichy, et changé de mes destinations habituelles : Tokyo, Kyoto et Sapporo... Et comme je connais uniquement le Chili, je décide d’y retourner... avec un Sepúlveda... Cela fait toujours plaisir un Sepúlveda, me semble t’il ? J’avais dans l’idée, peut-être de découvrir « La Folie de Pinochet », mais ce titre ne serait plus éditer. Ce n’est même pas une déception, puisque je n’ai que l’embarras du choix et je pressens « Les Roses d’Atacama »...

Qu’est-ce qui rapproche un pirate de la mer du Nord mort il y a 600 ans, un Argentin qui décide de sauver les forêts de Patagonie, un instituteur exilé qui rêve de son école et s’éveille avec de la craie sur les doigts, un Bengali qui aime les bateaux et les amène au chantier où ils sont détruits en leur racontant les beautés des mers qu’ils ont sillonnées ? Seulement cette frontière fragile qui sépare les héros de l’Histoire des inconnus dont les noms resteront dans l’ombre.
Voici, riche d’une humanité palpable, dans ce style sec et incisif auquel nous a habitués Luis Sepúlveda, toutes ces vies recueillies par un voyageur exceptionnel.

Mon baluchon est déjà sur mes épaules, et j’avance d’un pas ferme et décidé. Tierra del Fuega, Terre de Feu... Ce roman de Francisco Coloane m’attend déjà sur les étagères de ma bibliothèque. Mais c’est aussi mon point de départ. Au revoir, Sepúlveda et à bientôt... Je ne me retourne plus, du moins jusqu’à ma prochaine destination. Je traverse la Patagonie. Chili et Argentine réunie et séparée par une frontière... Bizarre... Un trait tracé sur une carte et cette Terre se retrouve divisée en deux... Pourtant les paysages sont les mêmes ? les âmes aussi... Délires et aberrations du monde humain qui a besoin de classer, ordonnancer, diviser pour se sentir en sécurité... Mais moi, à pied, à cheval ou à taureau, je tire ma route à travers l’Argentine que je remonte toujours et encore. On The Road Again... Jusqu’où ? J’ai décidé de ne m’arrêter qu’en terre uruguayenne, la patrie de Horacio Quiroga et ses étranges « Contes d’Amour de Folie et de Mort ».

Dans ces récits solidement construits, l’inquiétante étrangeté de chaque détail, l’horreur toute simple - donc absolue - et le réalisme sont l’aliment d’un fantastique aussi spectaculaire qu’ambigu ; fantastique parfois drôle, plausible et cependant opaque comme peuvent l’être la monstruosité de l’enfance, la force tonnante d’un fleuve en crue, l’inclémence de la forêt vierge et des midis tropicaux ou le délire de l’homme, délire de l’amour ou folie de la mort.

Ai-je fais le bon choix ? L’avenir me le dira peut-être, en tout cas c’est un grand voyage à partager avec tous...

Et si, à la petite nuit, seul dans le désert d’Atacama ou la forêt vierge d’Uruguay, je me préparais un thé au goût rare et merveilleux, loin d’être local, importation spéciale par avion de l’Himalaya...

AMBOOTIA - Organic Tea Estate - Spring Flush FTGFOP1
« Terre des manguiers »
Feuilles : aromatiques, vert intense,dotées de fins bourgeons
Nez : parfum frais et aérien, vif, aux inflexions fleuries d’angélique
Liqueur : cristalline, jaune ambré, à la saveur douce et légère, où se développent des tons d’orchidée sauvage puis des accents de goyave verte et de groseilles blanches

2 heures pour arriver à embraser un petit feu dans cette jungle humide mais seulement 2 minutes 30, temps maximum conseillé par le vendeur, pour profiter de toutes les subtilités et de tous les arômes de cet arrivage particulier. La Cordillère des Andes est loin, je sens déjà le parfum de l’Himalaya et ce doux Darjeeling m’enivre déjà de nouvelles aventures...

 

2 commentaires

Sepúlveda, place de Clichy 16 novembre 2010
Bonjour, j’ai beaucoup apprécier cet extrait d’oeuvre et j’aurais aimé en avoir les références. Je n’ai pas bien compris qui était l’auteur et quel était le titre. Merci d’avance pour votre réponse !!
Sepúlveda, place de Clichy 7 novembre 2008 Utopie
Je ne sais plus, je connais ces paroles devant la porte d’une librairie, non, pas le moment, pas les sous, pas besoin, des piles m’attendent, non non et non. Pfffffff je fuis, au fond de la boutique.
 

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