Il y a un homme, tiraillé par sa lutte pour se dépétrer d’un père autoritaire, parfois cruel, et tellement manipulateur. Un père qu’il rejette pour ses idées fascistes, mais avec lequel il parvient à composer parce qu’il en attend parfois de l’aide, et parce que c’est son père.
Il y a un homme emporté dans le tumulte de la deuxième guerre mondiale. On le retrouve dans son parcours de formation. Au fil des sélections, et des echecs, il deviendra bombardier dans un équipage de B17 stationné en Angleterre. Les raids sur l’Europe se succèdent, marqués par la trouille viscérale de mourir, de perdre ses compagnons d’infortune. On se saoule pour oublier de penser. On largue ses bombes sur un champ de patates pour rentrer, et au diable l’objectif. Plus que tout, on a honte...
Honte de survivre. Honte de son job. Honte de ne pas avoir les pieds dans la boue et les mains dans le sang comme les fantassins qui se battent au sol.
Au final, y-a-t-il une victoire à l’issue des guerres ?
Peureux ou courageux, faible ou fort, lucide ou embrumé, intelligent ou stupide...tellement normal...Moritz Thomsen nous emporte avec facilité dans sa propre mémoire, malgré la confusion qui y règne parfois. Il nous restitue une expérience de ses guerres qui oscille entre consternation et pitié, mais qui est ponctuée par un humour irrésistible, capable de faire sourire le lecteur au milieu des scènes ou règnent les pires tensions.
Enfin, il y a l’Amérique vue par Moritz Thomsen : brisée par la crise de 1929, transformée par une guerre qu’elle ne pouvait pas perdre, elle nous est parfois livrée sous un éclairage qui me semble bien moderne :
«
— [...] Pourquoi les gens ne devraient-ils pas voir le bien-fondé des sacrifices qu’ils font ?
— Des sacrifices ? Quels putains de sacrifices ? Cette guerre, tout le monde va en sortir enrichi.
— Sauf ceux qui y seront restés.
— Ouais, sauf ceux qui y seront restés. Mais tu connais ma théorie : il faut une sacrée quantité de sang pour maintenir le système sur ses rails, une sacrée dose d’esclavage, un sacré paquet de gars bossant à vingt-cinq cents de l’heure
— On va changer tout çà ? Est-ce que ce n’est pas l’objet principal de cette guerre ?
— En tout cas, c’est celui de ton livre. Gagner cette guerre, qui sera la dernière ; gagner la guerre et sauver la démocratie. [...]
— Tu sais, par moments, on croirait entendre un anarchiste. Tu ne crois donc pas en la démocratie ?
— Mon père a collé sur le pare-chocs de sa bagnole un truc qui dit : "Dieu merci, nous sommes en république, pas en démocratie !" Il y a dix ans, à cause du krach, il a perdu son unique million ; quatre ans de guerre et il s’est complètement refait. Comment veux-tu avoir foi en la démocratie ? Voilà deux mille cinq cents ans qu’on ne l’a pas expérimentée. Ecoute, je hais le fascisme, je hais le communisme, mais pour te dire le vrai j’ai quelques doutes sur la démocratie américaine. Cette belle Amérique en salopette que Whitman a connue, que lui est-il arrivé ? Cette merveilleuse classe de paysans propriétaires du temps de Jefferson, où est-elle passée ? Non, Burt, nous allons sortir de cette guerre comme la nation la plus puissante de la terre, et cela s’appellera un empire, pas une démocratie.
»