J’ai longtemps eu horreur de me dire touriste. Je trouvais ça vulgaire, minable. Je voulais être un voyageur. Tous les jeunes qui sont partis un jour, le sac à dos sur les épaules, savent de quoi je parle. C’est affreux d’être comparé à ces riches imbéciles qui sirotent des cocktails devant la piscine de l’hôtel. J’aime autant m’affaler sous un pont et boire au goulot avec les SDF. Mais, avec le temps, je me suis fait à l’idée d’être un touriste parmi les autres. Non que je me prélasse sur les chaises longues, mais je n’hésite plus à louer une voiture, plutôt que de faire du vélo, et je préfère m’asseoir à une bonne table que devant une boite de raviolis. Est-ce que cela veut dire que je me suis assagi, que je suis devenu conservateur ou routinier ? Bon Dieu, j’espère que non ! Je voyage beaucoup aujourd’hui dans les livres et les poèmes. J’aime la sensation de me glisser dans une autre existence. L’art - la littérature - vous en offre autant que vous voulez. Nous pouvons renaître dans des corps, et des villes, qui ne sont pas les nôtres.
De Dublin à New-York, ses deux villes fétiches, Colum McCann se met en scène à travers voyages et pérégrinations. Il évoque quelques souvenirs, quelques impressions mais surtout où qu’il soit, il ne peut oublier son origine et point de départ : le jardin de son père. A l’autre bout de la planète, au pied de la tour Eiffel ou des gratte-ciels new-yorkais, entre les temples de Kyoto ou les jardins de Jaipur, son souvenir le ramène toujours dans cette roseraie paternelle. Mais le plus grand et le plus fabuleux des voyages reste quand même celui de l’imagination. D’ailleurs, il reste subjugué, voir hypnotisé par l’œuvre de l’architecte et dessinateur Matteo Pericoli qui en quelques coups de crayons a bâti une cité où le pont de Brooklyn enjambe les canaux de Venise, une cité où l’opéra de Sydney frôle l’hôtel de ville de Toronto, une cité où Kingston Jamaïque se trouve à une encablure de Bogotá, une cité où la maison de la grand-mère de Pericoli côtoie le jardin du père de McCann. L’imagination et la littérature ont ce pouvoir de rendre possible des voyages improbables, voir impossibles.
Il arrive que le chemin ne nous mène pas plus loin que le bout de la rue. C’est un départ, si l’on veut. Un moment hors de la zone de sécurité. Peut-être à un battement de cœur, seulement, du jardin de son père.
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