Le Révolutionnaire et le Gastronome Chinois

20.09.2008 | Black
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Sentez donc cette bonne odeur de crevettes sautées, d’oie braisée au marc de vin ou de ce jarret de porc confit au sucre candi. La Révolution culturelle chinoise vue au travers de la « bouffe », voilà donc le menu appétissant de ce roman de Lu Wenfu [1]. Nous sommes dans les plaines de Suzhou, où il n’est pas question ici d’admirer l’harmonie de ses jardins qui font de cette ville une réputation internationale mais de contempler sa gastronomie et de se remplir la panse de toutes ses traditions culinaires. Desserrez d’un cran votre ceinture, une tasse de Grand Lapsang Souchong fumé et vous voilà prêt à une orgie gargantuesque de mets fins et somptueux s’enfournant farouchement dans votre gosier ?

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A l’origine, il y a Zhu Ziye le « capitaliste » : une vie passée à célébrer chaque repas d’une façon festive, une vie outrageusement dédiée au plaisir de la nourriture en abondance. Ce qui a pour conséquence d’énerver et d’exaspérer à un point de non retour notre second protagoniste et narrateur Gao Xiaoting. Ce dernier, fervent communiste révolutionnaire, ne cessera tout au long de son existence de s’opposer à la bourgeoisie de son « camarade » Zhue. Il devra même prendre les commandes du restaurant jouissant de la meilleure réputation gastronomique de Suzhou pour pouvoir exprimer ses idées révolutionnaires sur le monde du travail.

Réformer le menu, tel était, à mon avis, le nœud du problème[...] Qui pouvait donc s’offrir des plats coûteux comme la perche mandarine en écureuil, les boulettes de poulets sur flocons de neige, les cœurs de légumes aux miettes de crabes ? Un plat de viande et de légumes ordinaire, suivi d’une soupe toute simple, faisait un repas amplement suffisant [...] Que certains aient espéré pouvoir manger un peu mieux, je l’admettais : il faut changer de temps en temps ! Même les troupes révolutionnaires avaient souvent droit à un extra, de la viande en ragoût, pas grand-chose somme toute. Nous servirions toujours du porc sauté aux choux, du foie de porc sauté à l’ail, du poisson en ragoût, des boulettes « tête de lion » au céleri... C’est suffisant, non ? Quel travailleur avait tous les jours ces plats chez lui ?
[...] Le vieux Zhang protesta :
« Ah, ah, nous devenons une cantine ! ironisa-t-il. Pourquoi ne pas envisager une réforme encore plus radicale, directeur Gao ? Donne-nous à chacun deux planches de bois et nous irons vendre notre soupe devant la gare ! »
Je le fixai du regard :
« Tu as le droit d’exprimer ton point de vue, camarade, mais tu dois le faire avec sérieux. Nous parlons de révolution. Tu n’es pas en train d’échanger des bons mots avec les clients. »

Difficile d’allier communisme et gastronomie bourgeoise...Les plus démunis veulent abolir ces tables de quelques privilégiés se goinfrant de ripaille, seulement dès que leur « pouvoir d’achat » s’améliore (si, si.. je vous assure, cela arrive...mais loin de notre chère contrée), ils ne veulent plus de ces auberges d’ouvriers à la bonne franquette mais cherchent un lieu plus cosy, plus luxueux pour savourer quelques mets gourmands et délicats...

Un roman révolutionnaire mais aussi subversivement drôle pour découvrir quarante années de vie chinoise non plus autour de tracts politiques vouant les mérites du peuple, de bannières à l’effigie du pouvoir et de drapeaux représentant fièrement la nation, mais avec une grande serviette pendue au cou autour d’une immense table encombrée de victuailles des plus appétissantes.

[...] un enchaînement de plats chauds, de grandes pièces et de desserts : perche mandarine en écureuil, jambon confit au miel, « le premier plat sous le ciel », les petites brioches de jade, les pomponnettes cristallines... Mais le clou du repas, ce fut le canard « trois en un ».
Ce qu’on appelle canard « trois en un », c’est un pigeon fourré dans le ventre d’un poulet, lui-même fourré dans le ventre d’un canard. La cuisson faite, on ne voit qu’un seul canard. On dispose ce gros canard dans un grand plat de service entouré d’œufs de caille, pour donner l’impression qu’ils ont été pondus par le pigeon.

A vos baguettes !
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Maître Wang souhaite à vous une Bon Appétit ! Hi, Hi, hi !

[1] Vie et passion d’un gastronome chinois - Édition Picquier Poche - Unesco - Traduction de Annie Curien et Feng Chen - Préface de Françoise Sabban.

 
 

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