La Longue Nuit de Chet

15.11.2008 | Black
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Samedi 21 mai 1988
Inglewood, Californie

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Le cortège funéraire s’avançait sur les collines vallonnées du cimetière d’Inglewood, un sombre quartier résidentiel en périphérie de Los Angeles. De grandes marquises blanches protégeaient du soleil les parents endeuillés, sans pour autant étouffer le grondement des avions qui allaient et venaient de l’aéroport international tout proche. Dans le cimetière, l’odeur fétide de la fumée des pots d’échappement arrivait à masquer l’odeur de l’herbe coupée.
Deux jours auparavant, un avion gros porteur en provenance des Pays-Bas avait rapatrié le corps en décomposition d’un trompettiste qui comptait parmi les hommes les plus beaux des années 50. Un parfum de mystère et de drogue planait autour de la mort de Chet Baker, survenue un vendredi 13 à Amsterdam. [...]

Je tourne la dernière page du bouquin avec un sentiment inachevé, celui de ne pas connaître encore la musique de Chet Baker. Cela dit, il me parait difficile de transcrire ses émotions musicales en un verbiage journalistique. Et puis après tout, ce n’est certainement pas l’objet de l’enquête.

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Cette « biographie » de James Gavin, journaliste au New-York Times, est surtout l’album de la déchéance du trompettiste « El Angelo ». L’ange déchu y sera décrit plus souvent avec une seringue qu’une trompette. Chet, c’est une grosse merde, et il joue de la merde... Voilà en substance le message qui y est véhiculé. Pourtant, Chet avait tout pour plaire... au début... Jeune, beau et blanc, il incarne la West Coast de la famille jazz aux cotés de Gerry Mulligan, devenant même une icône gay et une idole auprès de toutes les jeunes filles. Un talent inné, Chet joue à l’oreille, incapable de lire une partition, préférant surfer sur les plages de L.A. plutôt que de répéter ses sets. Mais voilà, un beau jour, il découvre la drogue. Difficile à dire si la paternité de cette nouvelle passion provient de Charlie Parker ou de Stan Getz... A partir de ce moment, Chet ne va chercher qu’à s’autodétruire, en fuyant déjà les Etats-Unis, pour qui il restera éternellement un incompris de junkie, pour s’installer en Europe et en Italie.

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Les tournées s’enchaînent au rythme d’une ville par jour. Une ville, un concert et un dealer... Voilà à quoi se résument les années Chet, allant de pharmacies en dealers, de dealers en médecins condescendants pour se fournir chaque jour et toujours plus en morphine puis en héroïne. Et la musique dans cet univers ? Elle n’est pas si présente que ça, les concerts n’étant juste que prétextes à avoir un faible cachet pour se payer une dose le soir. Junkie le jour, junkie la nuit et occasionnellement musicien de jazz. Sa trompette ? Il l’a vendu hier soir pour se payer un nouveau fixe. Son jeu ? Il s’est fait casser la gueule hier soir par des voyous ou des dealers... Difficile de jouer juste de la trompette dans ces conditions, sans dent ! Et au milieu de tout ça, quelques rencontres, des musiciens plus ou moins anonymes qui l’accompagnent et qui changent presque chaque soir. Musiciens ou drogués... Parce qu’il ne faut pas se tromper : Chet est seul, sans ami ni confident. Tout au long de sa vie, il s’est chargé de les trahir, de les blesser... pareil pour son public où les concerts furent souvent bâclés et inachevés. Le seul public pour lequel Chet semblait vouloir jouer était le dealer du coin.

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Mais assez parler de drogue, la musique de Chet n’est pas uniquement composée de seringues, médicaments et autres substituts. Elle est, à mes yeux, émotion pure. Je le vois, sur la fin de sa « carrière », fatigué, usé, faisant au moins 20 ans de plus que ce qu’il a réellement. Il entre sur scène, le vieillard SDF avec sa trompette cabossée. Tout juste, si son souffle est assez puissant pour pousser sur les pistons et sortir un son. Pourtant, dès que j’entends ce son, une émotion telle m’emporte que je sens les larmes couler sur mes joues. Ce type est grand, il me procure un bonheur immense et tant pis s’il joue faux, je m’en fous royalement : ce qui compte c’est son émotion et sa sincérité...

Alors si la lecture de cette biographie, La Longue Nuit de Chet Baker, n’est pas indispensable, la présence de quelques CD de Chet Baker devrait l’être dans chaque discothèque humaine. Parce que Chet est beau, non parce que Chet est humain et qu’il joue malgré tout avec son cœur. Et que rien n’est plus pur qu’une musique du cœur, la musique de cet ange bascule mon petit monde musical vers une nouvelle dimension : celle de l’émotion, de la magie et du courage (celui de s’afficher sur scène devant un public sachant qu’on est qu’une merde, un raté, un looser... tout mon portrait en somme, ou presque...).

Chet Baker, je t’aime !

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La Longue Nuit de Chet 19 novembre 2008 Utopie 1  rép.
 

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