Quelques flocons de neiges viennent se poser délicatement sur le sable d’une plage déserte. Je pourrais être en Normandie à contempler le déchaînement de la nature se fracasser contre les rochers, contre le phare blanc et rouge vieillissant au loin. La plage en hiver me semble tellement plus agréable, emmitouflé dans une doudoune à l’épreuve du temps. Je n’entends plus les hurlements des gamins venus s’amuser à se jeter du sable dans les yeux, à bâtir des châteaux-forts ou découvrir des trésors cachés, tels que des coquillages en miettes, des capsules de bières ou des mégots de cigarettes. Ma vision n’est plus perturbée par les ventres de plus en plus bedonnant de mes concitoyens mâles, je n’ai pas le loisir de critiquer la blonde pulpeuse d’à côté, lèvres au Botox et seins en silicone, crocs rose assorties à son string, en l’imaginant dans quinze ans avec un cancer de la peau... Bref, je pourrais être le seul survivant de cette plage déserte en hiver où l’occasion est idéale pour me plonger dans un bon petit polar sans prétention, juste pour la détente, juste pour passer le temps...
Un feu de cheminée crépite et diffuse une chaleur ambiante qui sied à mes vieux os. Assis dans un fauteuil en cuir encore plus vieux que moi, quelle bonne odeur de cuir usé, une couverture sur les pied, pépère le vieillard bloggueur du dimanche soir, il ne lui manque que le cigare ou la pipe. Un verre de single malt pour m’accompagner, quelle bonne odeur de tourbe, télévision éteinte, portable éteint, proches « autochtones » au lit, je pourrais être seul au monde, face à une toile d’Edward Hopper, dans cet univers calfeutré avec mes odeurs, avec mes sensations et avec un bon petit polar sans prétention, juste parce qu’on me la prêté de ça quelques mois, juste parce que c’est le moment de me plonger dans un petit mystère du XIIIème siècle...
Mais finalement, je me retrouve assis sur une banquette tagguée et déglinguée de mon métro, ligne 13. Bondée comme d’habitude, des relents de transpiration matinale, effluves nauséabondes qui me soulèveraient le cœur si ce dernier n’était pas solidement accroché par mes céréales biologiques matinales, râlements et mécontentements quotidiens qui m’auraient affligés de si bon matin si mon esprit n’avait pas été stimulé par ma cure de spiruline tout aussi biologique. Peu importe tous ces désagréments, je deviens moi-même incivique en me précipitant sauvagement à l’intérieur pour m’octroyer une place assise dans cette fournaise et m’immiscer sur les mystères de mon bouquin. Je ne lève plus les yeux, femmes enceintes ou personnes âgées je les ignore tous. Je suis plongé dans ce que l’on peut appeler communément un bon petit polar sans prétention, une petite enquête classique du XIIIème siècle entre Séville et Saint-Jean-d’Acre, juste pour que le trajet me paraisse moins long, juste pour arriver plus vite à ma destination, à l’autre bout de la ligne XIII...
« Ils sont revenus ! Ils sont revenus pour se venger ! Ils sont là, tous les deux ! Ils sont revenus pour prendre ma vie... »
Séville - 1265. Quelques riches marchands décèdent subitement, d’une maladie effroyablement sélective. Morts suspectes, peste vengeresse, malédiction divine ou simplement assassinat médical ? Par ce siècle, l’avancée de la médecine annonce de nets progrès dans la compréhension de la maladie en devenant une véritable science à part entière, au-delà des croyances religieuses. Séville semble être le carrefour culturel où se mélangent les médecines occidentales aux médecines orientales et arabes. Fait nouveau, la psychiatrie apparaît pour la première fois dans la compréhension du Mal. Mais c’est justement par cette connaissance accrue de la médecine que certains esprits malveillants semblent avoir détourné en arme destructive et nuisible, en oubliant le premier précepte de la médecine, le serment d’Hippocrate.
15 années plus tôt, une nef marchande fait route vers l’Orient. Seconde histoire en parallèle ; Est-ce là l’origine du crime ? Certainement, mais il ne reste que quelques jours à nos médecins apprentis criminologues pour débusquer le meurtrier avant les prochains assassinats, et comprendre...
Terminus de la ligne 13, tous les moutons descendent. Conclusion qui s’impose : je n’ai guère perdu mon temps. J’imagine bien que, dans une semaine ou un mois, j’aurais tout oublié de ce roman, de ce polar historique aux accents médicinaux. Peu importe, moment détente dans le métro, cela me suffit amplement. Je n’en demandais guère plus lorsque les premières pages se sont ouvertes à mes yeux. Sauf que c’est même mieux que je pouvais l’espérer et sans révolutionner le genre, sans répandre un mystère glacial à chaque page, sans innover une fin rebondissante, cette poudre des rois fut une agréable surprise, un délassement récréatif abouti.