« Pourtant, même si nous sommes frères du point de vue de la génétique, pour ce qui est de l’âme, nous sommes des étrangers. Tu comprends ? Le corps physique, ce n’est qu’une demeure d’emprunt... »
[...] « Autrement dit, je te parle de métempsycose. »
[...] « Mé... métempsycose ?
Oui. Rappelle-toi ce mot-là. Le moment viendra où tu comprendras, toi aussi. »
La métempsycose, cela vous parle certainement. Thème récurent chez Hitonari Tsuji, il était également présent dans « Le Bouddha Blanc », précédent roman de l’auteur qui a eu mes faveurs. Mais n’ayez pas peur d’une prise de tête sur ce vaste sujet ambitieux ; ici, il ne sert que prétexte à expliquer la cause du départ de Yûji, frère aîné de la famille. Dix ans plus tard, suite au décès de ses parents, son jeune frère décide de partir à sa recherche dans un Tokyo ultra-branché...
Un grand frère qu’il a toujours idéalisé, mais dont il ignore tout. Tel un détective privé, il va sillonner les rues de Tokyo, visiter son ancien appartement, fréquenter ses ex-petites amies, ses collègues de bureau, pour tenter de résoudre le mystère de sa disparition. Mais Yûji n’a pas que disparu de sa famille, il semble s’être là-aussi totalement volatiliser. Personne ne semble l’avoir vu depuis plusieurs mois. Est-il mort ?
« Tout d’abord, imagine l’âme et le corps comme deux choses séparées. Le corps est l’embarcation qui nous relie à la Terre. Une barque, ça a une durée d’utilisation limitée : quand elle est complètement usée, c’est la mort... Mais l’âme, elle, ne meurt pas. Elle passe simplement de corps en corps... C’est ça, la métempsycose. »
La voix basse et virile de mon frère résonnait dans ma boite crânienne.
Cette recherche va s’avérer pour le frère cadet comme une véritable quête initiatique où ce dernier tentera de comprendre son frère, ses émotions, ses motivations et ses pensées. Il s’accaparera un peu les amis de son grand frère pour s’immiscer dans sa vie, une vie bizarre et marginale au premier abord, mais avec plus de réflexion juste et toujours intègre. Pourtant, il semble si différent de son frère aîné, du moins au début...
Pas une seconde d’ennui dans cette quête, les pages défilent à la vitesse d’un Shinkansen lancée à toute allure. Je me mets facilement à la place de ce cadet, et tente avec lui de comprendre ce qui a pu advenir de ce grand frère. Les hypothèses sont là : mort, disparition voulue et choisie, monde parallèle... Les images de Tokyo sont bien présentes, je n’ai aucun mal à me représenter, anonyme parmi la foule, debout devant la célèbre statue du chien Hachikô [1] de Shibuya. Pour s’imprégner de quelques odeurs du Tokyo moderne, pour baigner les doigts de pieds dans un onsen fumant en réfléchissant de loin à la métempsycose, pour apercevoir le majestueux Mont Fuji au sommet d’un gratte-ciel de Shinjuku, « L’Arbre du Voyageur » est un roman idéal et quelque peu magique.
« Par exemple, dans une vie précédente, j’ai très bien pu être la femme qui a mis notre père au monde, et toi et moi, au lieu d’êtres frères, nous étions peut-être des amants. Ou plutôt non, des ennemis. Ça te parait drôle ? C’est la réalité, pourtant. C’est le genre de choses qui se produit au niveau de l’âme. Homme dans une vie, j’ai été femme dans une autre. Je suis asiatique, mais j’ai peut-être été un Blanc, je suis humain, mais j’ai pu être animal, un insecte. »
[...] « Autrement dit, toi et moi, nous sommes frères sur le plan physique, mais sur le plan de l’âme nous sommes des étrangers. Nous sommes juste des passagers embarqués par hasard sur le même navire. »
A la croisée des chemins avec Hitonari Tsuji :
Le Bouddha Blanc
L’arbre du Voyageur
La Lumière du Détroit
[1] Je dois être le seul touriste au monde à ne pas avoir photographié cette célébrissime statue, point de rencontre au quartier branché de Shibuya. La photo a donc eté empruntée à Moaksey.