Il est presque 04h. Le réveil va sonner et çà fait déjà un quart d’heure que je tourne. Partagé entre excitation et un petit peu d’appréhension à l’idée de partir seul...
Environ deux heures plus tard, après un mini trophée Andros sur la route forestière au dessus de St Remy de Maurienne, je jette l’éponge et décide de me garer assez bas, rebuté par des résidus de glace et surtout les énormes caillasses qui bloquent le passage.
Sac sur le dos, skis fixés dessus, je pars pour une première heure de mise en jambe, à remonter ce bout de route goudronnée qui va me mener jusqu’à la limite skiable. J’aperçois un sanglier quelques mètres au dessus dans la forêt. Il s’éloigne tranquilement en poussant quelques ’groumfs’. Tant mieux. Je n’ai pas très envie de terminer ma carrière de skieur de rando en chasseur préhistorique.
A la limite skiable, je constate que j’ai été précédé il y a quelques jours. Des traces de skis partent en effet. Ce qui prouve par ailleurs que des conducteurs plus aguerris ont réussi à monter en voiture jusque là.
Les mouvements sont réguliers, presque automatiques, à tel point que l’esprit est libre. Il se laisse parfois aller à quelques lamentations. "Que fais tu ici ? C’est trop dur !" C’est fatigant en effet. Mais le plaisir de la découverte est bien là. Le privilège d’un peu de solitude. Et puis faire çà à pieds ou en raquettes serait tellement plus fastidieux.
Le temps est un peu couvert. A mesure que je m’élève, j’apprécie un peu plus la vue sur la chaîne de La Grande Lauzière.
Une dernière épingle à cheveux et la route forrestière devient chemin, qui monte droit dans la forêt de plus en plus clairsemée. Je suis soudain surpris d’entendre deux skieurs qui me rejoignent bientôt, régulateur de vitesse bloqué en position "offroad".
"- Vous allez où ?" me demandent-ils. "- Jusqu’où je pourrai ! ", ce qui les fait sourire. De toute évidence, j’ai moins la fritte qu’eux.
Ils me remercient pour la trace et reprennent leur progression rapide. Je les rejoins bientôt dans une clairière. On aperçoit une croix sur un mamelon qui nous domine. Derrière doit se trouver le chalet d’Arpingon. Je pourrais m’en assurer si je n’avais pas oublié ma carte dans le coffre de la voiture ! Il s’agit en tous cas maintenant de monter dans un petit vallon qui se raidit et devient plus étroit. Mes deux prédécesseurs enchaînent les conversions.
Je décide un peu plus haut de tirer sur la droite, en visant un point bas. Je débouche ainsi dans un petit vallon parallèle, d’abord en pente douce mais qui se raidit lui aussi plus loin. Tant pis.
La vue est belle en tous cas. Je paufine ma technique de conversion qui jusque là m’avait donné du fil à retordre. Le fait d’avoir des skis plus courts et d’avoir bien compris l’importance de transférer ses appuis vers l’avant a provoqué un déclic. Au fond, c’est la première fois que je me sens aussi à l’aise dans l’exercice même si la fatigue commence à se faire bien sentir. Je débouche bientôt sur une crête. En fin de compte, j’ai dépassé de loin le chalet. Si j’avais un peu de jus, je pourrais continuer en direction du col d’Arpingon qui n’est plus très loin mais j’en ai plus que marre. D’autant que j’ai deux belles ampoules qui ont commencé à se former sur les talons. Quelques pansements plus loin, beaucoup d’eau, et un peu de chocolat, j’attaque la descente en mode aveugle. Il y a un mauvais jour blanc et j’ai du mal à distinguer les reliefs. Le style n’y est pas mais il ne me faut que quelques minutes pour rejoindre le chalet. La neige est déjà transformée sur ses pentes plus exposées. Skier y est donc assez facile.
Une gamelle et quelques improvisations de style dans la forêt plus tard, je rejoins la route forrestière de la montée, sur laquelle il suffit de se laisser descendre. Il m’aura fallu tout au plus une heure pour redescendre ce que j’avais monté en cinq. Comme toujours, je suis maintenant partagé entre la joie d’en avoir fini, et l’envie de recommencer.
Aujourd’hui, le mouton sauvage prend son temps pour lire son roman sur les haïkus et la neige. Il veut profiter de chaque mot, de chaque image.
Sa citation du jour est empruntée à Matsuo Bashô [1644-1694] :
« Le bruit du pot d’eau qui éclate
(L’eau a gelé cette nuit)
Me réveille »
à moins que cela soit les ronflements d’un autre ermite ayant abusé d’une goudale ?
Ne serais-tu pas un moine ?
Cette expédition me fait penser à un bonze allant faire une retraite en montagne pour trouver son salut, se retrouver seul et pour méditer.
L’arrivée au sommet doit être difficile et fatigante, voir usante pour se vider, se purger l’esprit de toutes pensées futiles et donc inutiles. Rien que l’effort... Ton esprit se concentre sur chaque avancée petit à petit, en oubliant tout, sauf de penser à regarder autour de soi et observer la nature, si belle, si fragile.
Le sommet atteint, tu sembles serein et ainsi tu peux contempler.
C’est beau.
Une fois accompli, tu redescends parmi nous, pour nous montrer cette voie et nous faire comprendre des choses.
Merci, tu as la carrure d’un moine zen et ta simplicité en transparait à travers tes écrits.