Un paysage, une lumière, un esprit...
Une beauté cachée peut se révéler à chaque coin de rue, chaque tournant d’un chemin, chaque lacet d’un col. Il n’est pas forcément nécessaire de faire le tour du monde pour découvrir un champ visuel apaisant. La magie d’un lieu reste un mystère. A quoi cela est dû ? Au paysage lui-même, à la lumière qui y baigne, aux esprits qui l’habitent... Il suffit dès fois, d’être là, à l’instant présent, et d’ouvrir les yeux, ici et maintenant...
Peu importe qui il est, peu importe ce qu’il est. Il est simplement ici. Pour simplifier les choses, disons qu’il est « l’homme qui marche ». Il s’approche, il avance... Jusqu’où... Là n’est pas la question... Jusqu’à quand... Là encore, cela devient hors-sujet. L’homme qui marche se contente juste de faire un pas devant l’autre et il regarde...
Et l’homme qui marche continue à marcher, droit devant lui. Les arbres défilent, le bruissement des feuilles chatouille ses grandes oreilles. Il croise un écureuil mais ne s’arrête pas. Il ne veut surtout pas le déranger, s’immiscer dans sa vie, son intimité. Il sait qu’en tant que représentant de l’espèce humaine, il est considéré par la faune et la flore comme un dangereux prédateur. Il vaut donc mieux continuer à marcher et à observer...
L’homme qui marche marche toujours droit devant. A quoi pense t’il ? Au monde qui tourne autour de lui, ce monde qui le dépasse et l’attriste ? A des souvenirs d’enfance ressurgis d’une lointaine mémoire, qui peuvent apparaître aussi soudainement dans son esprit que disparaître ? A sa vie, au but qu’il s’est fixé ? Mais peut-être aussi à rien. L’homme qui marche suit ses pensées de loin et ne s’y attache pas ; elles défilent sous ses yeux mais ne les retient pas.
...
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Puis soudain, le trou noir. L’homme qui marche [1] continue d’avancer vers ce gouffre. Les ténèbres sont proches. Mais au bout du tunnel, il voit un point lumineux ; il s’y dirige, l’esprit libre, l’esprit léger, sans contrainte. Mais que va chercher l’homme qui marche et surtout que va t’il y trouver ?
[...]
[1] L’homme qui marche était le long du canal nivernais, écluse de Chaumigny n°29 du versant de la Loire.
Aujourd’hui, l’homme qui marche continue de marcher. L’esprit, toujours aussi vide, il avance fièrement, d’un pas décidé, sûr de lui. Alerte, il fonce droit devant, sans prendre la peine de regarder autour. Les paysages ne sont plus aussi beaux que ceux du canal nivernais. Ils sont obscurcis par la froideur des immeubles, la saleté des trottoirs, la pollution des embouteillages. Du coup, l’homme qui marche ne prend plus la peine de photographier son environnement. Les lieux ne sont plus propices à la méditation, les klaxons des voitures répondant aux sonnettes des vélos. Les écureuils n’existent plus, ils ont été remplacés par des compatriotes de son espèce qui, eux aussi, marchent rapidement, un casque sur les oreilles, en « tentant » d’éviter les crottes de chien. Sans Intérêt.
Mais à quoi peuvent bien penser tous ses concitoyens ? Au bien fondé de certains droits, au principe même de la loi, à l’équité du monde et au bonheur des autres ou tout simplement à des sujets plus matériels, plus proches de leurs préoccupations du genre baskets ou mocassins, à quelle heure vais-je arriver au travail, quel chemin prendre pour le retour... Mais loin d’avoir son opinion politique et sociologique, l’homme qui marche a décidé qu’il était juste temps de marcher, droit devant lui, sans se poser d’éternelles questions sans réponse. Il est temps de faire le vide, respirer, et faire le vide...Pour la contemplation, il verra un autre jour.
-----> Canal Nivernais
Plus précisément à l’écluse de Chaumigny le long du canal nivernais (l’une des plus belle, parait-il)
Et comme le nom du canal semble l’indiquer, c’est bien évidemment dans la Nièvre, pas très loin de Decize...
Très beau.
Marcher en laissant filer ses pensées. Je crois comprendre...non, plutôt, sentir...