Javier Cercas, écrivain en manque de succès ou journaliste en manque de reconnaissance ?
C’est la question que l’auteur se pose tout au long de ses « Soldats de Salamine ». Suite à une petite chronique pour son journal, il entend parler d’une anecdote anodine vieille de plus de 60 ans.
Nous sommes à la fin de la guerre civile espagnole. L’écrivain Rafael Sánchez Mazas, un des fondateurs de la Phalange, réchappe du peloton d’exécution. Un soldat le découvre terré derrière des buissons et pointe son fusil sur lui. Il le regarde longuement dans les yeux et crie à ses supérieurs : « Par ici, il n’y a personne ! ».
Frustré après avoir écrit 2 romans passés sous un anonymat quasi absolu, Javier Cercas se pose beaucoup de questions sur son avenir professionnel, ses désirs, ses ambitions. Il se dit qu’il n’est pas fait pour être romancier. Il a d’ailleurs abandonné tout espoir et idée de ré-écrire, un jour. Il a fallu donc beaucoup d’insistance de son entourage, de ses rencontres pour le persuader de faire de cette histoire un roman. Et non pas un roman fictif, basé sur l’imagination d’un auteur, mais un roman de faits réels.
Nous suivons donc le parcours de Javier Cercas dans l’acheminement de son roman, son travail de documentation, la recherche de témoins d’époque, la confrontation de ces témoignages et l’étude de la véracité. Un long travail laborieux, parsemé de joie mais aussi beaucoup de doutes... Javier Cercas va s’appliquer à nous décrire Rafael Sánchez Mazas, autour de cette exécution manquée, le plus objectivement possible, ses qualités littéraires, ses implications dans la Phalange et dans l’Histoire Espagnole...
Description de la guerre civile, vision des nationalistes, des phalangistes et des franquistes, pour une sombre histoire de l’Espagne. Une histoire dans l’Histoire où à tous les coups, l’Espagne est perdante...
Et les doutes de l’auteur, ses interrogations sur l’intérêt de renouer avec cette époque, sur les difficultés à terminer son roman, un roman « bancal » à qui il manque une fin... Et s’il tentait de retrouver ce soldat, celui qui a épargné la vie d’un chef de la Phalange ? Un pari fou, une tentative désespérée pour coller au plus près de la réalité ? Mais quelle fin à son roman, cela pourrait provoquer ?...
« Tous les bons récits sont des récits réels, du moins pour celui qui les lit, c’est la seule chose qui compte. »
L’autobus parcourt en silence Barcelone, transformée par la terreur de la débandade et le ciel hivernal en une fantomatique désolation de fenêtres et de balcons barricadés. Dans ses grandes avenues cendreuses règne un désordre digne d’un campement, à peine traversées qu’elles sont par des passants furtifs ; trépignant tels des loups sur les trottoirs éventrés, ils ont l’air affamé et donnent l’impression de préparer leur fuite tout en se protégeant contre l’adversité et le vent glacial dans leurs manteaux de misère. Après Barcelone, sur la route de l’exil, le spectacle devient apocalyptique : une horde épouvantée d’hommes, de femmes, de vieillards et d’enfants, de militaires et de civils confondus - chargés de vêtements, de matelas et d’ustensiles domestiques, les uns progressant péniblement d’un pas de vaincus, les autres montés sur les chariots et les mules du désespoir - encombre la chaussée et les fossés, parsemés çà et là de cadavres d’animaux les tripes à l’aire ou de véhicules abandonnés. La caravane avance avec une extrême lenteur. Parfois, elle fait halte ; parfois, avec un étonnement mêlé de haine et d’une fatigue insondable, quelqu’un dévisage les occupants de l’autobus, enviant leur confort et leur abri, mais ignorant qu’ils seront fusillés ; parfois quelqu’un les insulte. Parfois, également, un avion nationaliste survole la route et crache quelques rafales de mitrailleuse ou laisse tomber une bombe, provoquant un sauve-qui-peut parmi les fugitifs paniqués et une lueur d’espoir chez les prisonniers de l’autobus qui, à un moment donné, vont jusqu’à caresser l’illusion - vite démentie par la stricte vigilance des agents du SIM [1] - qu’ils pourront profiter du chaos d’une attaque pour s’enfuir à travers champs.
La longue et douloureuse gênèse d’un roman sur plus de six années...
[1] Services d’Informations Militaires